Soixante ans après sa mort, Marilyn Monroe est la « it girl » du moment : invitée principale du Met Gala et personnalité la plus photographiée de la soirée, objet d’articles et documentaires à la pelle, sujet d’un biopic attendu sur Netflix depuis des mois mais qui soigne son retard (rien de plus Monroe que cela, après tout).
En six décennies, on a appris bien des choses sur l’actrice, et notamment son amour des livres. Sur les calendriers des routiers, sur les plateaux de comédies lustrées, la bombe platine était une intellectuelle sous couverture. Marilyn la charnelle a toujours camouflé Norma Jean la cérébrale. Les ouvrages de sa bibliothèque, griffonnés de remarques personnelles, se négocient désormais à prix d’or dans les ventes aux enchères car ils traduisent une volonté soutenue et intime de (se) comprendre par la lecture. Quoi de plus normal, donc, que les livres soient aujourd’hui le moyen privilégié pour soutenir la légende ? Voici une sélection parfaitement subjective de quatre livres qui, chacun à leur manière, jettent une lumière intéressante sur le mythe Monroe.
MARILYN… PAR ELLE-MÊME
Durant sa vie, le seul relief qui fut concédé à Marilyn Monroe fut celui de ses formes généreuses. En cela, la mort et les décennies écoulées lui ont été bénéfiques, en ce qu’elles ont permis de rendre public ses secrets, lectures et écrits, et lui ont donc offert une profondeur. Les Fragments en sont l’exemple le plus flagrant, puisqu’ils compilent les écrits intimes de l’actrice. Toute sa vie, cette dernière a trouvé dans l’écriture une consolation à ses détresses. Pensive ou déprimée, elle prenait la plume et jetait dans des carnets des notes, des petits poèmes, témoignages de ses bourrasques intérieures. On a tant dit de choses sur Monroe, on a tant projeté sur elle nos propres envies d’en faire notre semblable, qu’il est indispensable de lui rendre parfois la parole. Dans ces Fragments, on la lit à travers ses propres mots (proposés en version bilingue pour une transparence totale) et même à travers sa graphie, puisque chaque texte est illustré d’une photo de la page originale. Un soin de publication qui témoigne du sérieux avec lequel Monroe est considérée aujourd’hui.
Fragments, de Marilyn Monroe (Points, 272 pages, 12 euros)
MARILYN… AVANT MARILYN
On dit souvent de Monroe qu’elle fut, qu’elle est, la personnalité la plus photographiée de l’Histoire, Il est donc indispensable de trouver dans cette sélection un livre de photos. Oui, mais lequel choisir dans les montagnes d’ouvrages disponibles ? Chaque photoshoot, chaque année de sa carrière a fait l’objet de dizaines d’études. Pour se surprendre, il faut donc délaisser Marilyn et redécouvrir Norma Jean. André de Dienes a rencontré Marilyn en 1945. Jeune mariée, ouvrière de guerre, elle n’a encore ni les cheveux décolorés, ni la lèvre molle, ni les robes à sequins de la légende qu’elle s’apprête à devenir. Ce sont ses toutes premières photos de mode. Feuilleter ce petit livre nous place donc dans la position de l’enquêteur, à la recherche de ce qui annonce la mégastar dans cette petite pinup aux joues roses et aux tenues vieillottes. Au fil des photos (judicieusement classées par ordre chronologique), on voit les cheveux blondir, les poses gagner en variété et en assurance. On assiste non pas à la naissance, mais à la création du personnage Marilyn Monroe, et l’on mesure ce que ce dernier doit à sa seule interprète, avant même l’action sur elle des studios. Émouvant.
André de Dienes. Marilyn Monroe (Taschen, 616 pages, 14 euros 99)
MARILYN… EN COLÈRE
Un calendrier dénudé, une bouche de métro qui souffle une jupe : voilà qui donne au spectateur le sentiment d’avoir tout vu de Marilyn. Elle nous y invite, d’ailleurs, en tendant ses lèvres charnues vers la caméra, en battant des cils d’un air faussement implorant, comme si chaque plan était un autel sur lequel elle s’offrait tout entière. Pourtant, comme tous les astres, Monroe a sa face cachée, son sentiment interdit : la colère. Nous n’avons jamais vu Marilyn Monroe en colère à l’écran. Dans Les Désaxés (J. Huston, 1961), sa rage est filmée de loin. La caméra se détourne d’elle et seuls ses cris sont audibles du spectateur. A croire que jamais l’actrice n’a été aussi impudique que dans cette émotion crue. Qu’à cela ne tienne : le dessinateur Luz étale une Marilyn furax sur toute sa planche dessinée. Monroe bave de rage, et on l’imagine rouge de colère malgré le choix du noir et blanc. Elle crie contre son mari d’alors (Arthur Miller) qui la traite en ravissante idiote, contre les réalisateurs qui n’ont filmé d’elle qu’un corps, contre Hollywood, contre les hommes en général… C’est ce cri que l’auteur a choisi comme couverture de cette plongée dans le tournage d’un film crépusculaire, dernier long-métrage de Monroe et de Gable, dont le making-of est au moins aussi fascinant que le film lui-même. « Hollywood a peur de la colère des femmes », statue Virginie Despentes en postface de l’ouvrage, faisant de Marilyn la première des actrices #MeToo. Allez, on se lève et on se casse !
Hollywood menteur, de Luz (Futuropolis, 112 pages, 19 euros)
MARILYN… ADAPTÉE
Le mythe Monroe est-il trop grand pour les écrivains ? Ils ne sont pas nombreux, en effet, à en avoir fait un personnage de roman : Michel Schneider et son semi-fictionnel Dernières séances, Philip Le Roy qui la plonge en plein thriller dans Marilyn X… A moins que la faute ne soit à chercher du côté d’un ouvrage, qui a plié la partie dans le domaine des « romans Monroe » : Blonde, de Joyce Carol Oates, finaliste du National Book Awards en 2000 et du prix Pullitzer en 2001. C’est dire s’il est à prendre plus au sérieux que son titre ne le laisse penser ! Pavé de plus de 1000 pages, Blonde est un livre tentaculaire, flou, féministe, renseigné tout autant que fictionnel, où les personnages ne sont désignés que sous formes d’archétypes – le Mari Dramaturge (Arthur Miller), l’Ex-Sportif (Joe DiMaggio), l’Actrice Blond e- comme pour offrir à cette légende hollywoodienne l’envergure d’une tragédie antique. La lecture en est un marathon, parfois éprouvant mais souvent fascinant. Déjà adapté sous forme de série en 2001, Blonde fera l’objet d’une nouvelle adaptation pour Netflix, en septembre prochain. On en frétille d’excitation.
Blonde, de Joyce Carol Oates (Le Livre de Poche, 1115 pages, 10 euros 90)