Kirk le survivant

par

Kirk Douglas

D’aucuns croyaient qu’il était un highlander, un immortel, celui qui nous survivrait par-delà les siècles pour obtenir le Prix. Kirk Douglas s’en est allé dans la nuit du 5 février 2020 à l’âge de 103 ans, nous laissant désespérément seuls avec notre espoir d’immortalité. Et pourtant, qu’ils furent nombreux les réalisateurs à mettre son corps à rude épreuve. Howard Hawks essaya de le priver d’un doigt (La Captive aux yeux clairs, 1952), Vincente Minnelli d’une oreille (La Vie passionnée de Vincent van Gogh, 1957) et Richard Fleischer d’un œil (Les Vikings, 1958). Rien n’y faisait. Kirk était toujours debout. Et comme si ça ne suffisait pas, Elia Kazan l’envoya sous les roues d’un camion (L’Arrangement, 1969) après que Kubrick l’eût condamné au supplice de la croix (Spartacus, 1960). Ce sera un accident vasculaire cérébral qui aura partiellement raison de lui, du moins de son élocution… A quand même 80 ans ! Mais de quel bois se chauffait donc ce fils de chiffonnier d’origine juive russe, qui survécut à des attaques cardiaques, une pneumonie, un crash d’hélicoptère et même à la mort prématurée de l’un de ses fils, Eric, disparu en 2004 ?

IZZY

La douleur, Kirk, ou plutôt Issur Danielovitch Demsky en a fait son affaire très tôt, dès l’enfance, lorsque les gamins du quartier le tabassaient parce que lui et ses siens avaient assassiné le Christ. Ses origines lui vaudront d’ailleurs encore quelques sales déconvenues, notamment au lycée lorsque sa cavalière le décommandera pour le bal de fin d’année, parce qu’on ne valse pas dans les bras d’un jeune garçon de basse extraction. A la maison, véritable taudis, c’est une autre affaire. On doit composer avec la faim, au quotidien, et s’écharper pour savoir comment dépenser les quelques deniers ramenés par chef de famille. L’argent reçu pour sa bar-mitzvah, une petite « fortune » de 310 dollars, il le prêtera d’ailleurs à son père, pris comme tant d’autres américains dans la tourmente de 1929. La situation devient très vite irrespirable. Kirk, qu’on appelle encore à la mode russe qu’on appelle encore Izzy, s’en va loger avec sa mère chez ses sœurs, désormais indépendantes financièrement. Le jeune homme caresse alors le doux rêve en secret de devenir acteur, après le tonnerre d’applaudissements que lui a valu la récitation d’un poème dans un jardin d’enfant. Ce « petit » talent d’orateur, il le mettra même à profit pour se fendre du plus beau discours prononcé par un étudiant à l’occasion de la traditionnelle cérémonie de remise des diplômes. Nous sommes alors en 1934. L’étudiant, auquel on ne prédit guère une belle carrière universitaire, s’apprête à chercher un petit boulot pour les vacances d’été. Une fois encore, ses ascendances juives le rattrapent. On ne cesse de fermer la porte au nez à Izzir Demsky. Qu’à cela ne tienne, il troque son identité contre celle de Dom Dempsey, et se fait embaucher dans un hôtel où il prend sa revanche sans doute de la plus belle des manières : en couchant avec sa patronne, antisémite assumée, ainsi « baisée par un juif ». Les déconvenues du même genre tournent court pour de bon une fois entré à l’université, lorsqu’il met une sacrée bonne raclée à un gros caïd dans un combat de lutte à mains nues. Quant à son patronyme, il s’en débarrasse un peu plus tard, juste avant d’intégrer l’Académie Américaine d’Art Dramatique. Issur accepte de se faire appeler Kirk par ses camarades, à condition de garder un nom commençant par un D, histoire de ne pas voir son identité dissoute jusqu’à la dernière lettre. Kirk Douglas, donc, s’apprête à en voir des vertes et des pas mûres, une fois encore, pendant son apprentissage du métier d’acteur. Son professeur, Charles Jehlinger – un grand ponte dans son domaine, persuadé que la meilleure école pour un acteur, c’est bien celle de la vie – ne semble pas vraiment convaincu par le talent de son élève. Mais Kirk, lui, ne s’en laisse pas raconter, et finit quand même par obtenir son diplôme en 1941. C’est également durant cette période qu’il rencontre deux femmes appelées à jouer un rôle important dans sa vie : sa future femme, Diana Dill, et une certaine Betty Joan Perske, dite « Bacall »… A la sortie de l’Académie, Kirk Douglas ne rencontre à nouveau que des portes fermées les unes après les autres, celles des agences, qui l’humilient quand elles ne savent pas quoi faire de lui. La malchance tourne court finalement grâce au producteur et metteur en scène Guthrie McClintic qui monte à Broadway sa propre pièce, Spring Again. L’excitation est telle que Kirk accepte d’officier au poste de régisseur, en plus de déclamer sur scène. Son talent finit par convaincre son ancien professeur, Jehlinger, qui lui susurre à l’oreille après la première : « Vous êtes sur la bonne voie, mon garçon ! Continuez comme ça ! »

L’OEIL DU TIGRE

Le jeune comédien ne peut plus en douter : il est à sa place, au bon endroit, au bon moment, si bien qu’on lui propose avant la tournée estivale au choix, de prendre le premier rôle de Spring Againou d’intégrer le casting d’un classique de Tchekhov, Les trois sœurs, dans un petit rôle certes, mais aux côtés de têtes d’affiches. Douglas n’hésite pas un instant. Ce sera la deuxième option, un choix de courte durée puisqu’éclate la Seconde Guerre Mondiale. Kirk, plus patriotique que jamais, s’engage dans l’armée de l’air en 1943. Le problème, c’est qu’il n’arrive pas vraiment à reconnaître les avions pendant la phase des tests préliminaires. Cette même année, il tombe sur le magazine Life avec Diana Dill, sa camarade de l’Académie, en première page. Qui peut bien croire la jeune recrue lorsqu’elle clame haut et fort qu’elle va lui passer la bague au doigt ? Et pourtant, le 2 novembre suivant, la base navale de La Nouvelle-Orléans fait office de chapelle pour les nouveaux mariés, Kirk et Diana. Leur lune de miel ne sera que de courte durée.

© LIFE

L’officier des transmissions Douglas s’en va guerroyer sur un bateau, alors qu’il souffre du mal de mer. Le reste de l’équipage ne comporte guère de vaillants soldats rompus à l’art du combat. Ainsi l’un des conscrits, aussi novice qu’empoté, provoque-t-il l’explosion d’une grenade à bord, croyant torpiller un sous-marin japonais menaçant. L’accident vaut à Kirk à la fois une bonne vieille dysenterie amibienne et sa pure et simple réforme, l’armée ne le considérant plus vraiment utile à la cause. Une fois revenu à terre, Izzy réunit ses quelques économies pour s’envoler à Los Angeles où sa copine Betty (Bacall) à parlé de lui au producteur Hal B. Wallis. Le starmaker donne sa chance à l’apprenti acteur, qui  par ailleurs dame le pion à Richard Widmark et Monty Clift, rejoignant ainsi le casting de L’Emprise du Crime (L. Milestone, 1946) aux côtés de Barbara Stanwyck. A son grand étonnement, la star du film ne succombe pas à son charme, mais accepte de devenir son amie sur le tournage perturbé par des grèves à répétitions. Mais ça, c’est une autre histoire, enfin quand on touche 500$ la semaine ! Le film ne marque pas vraiment les mémoires et Kirk, marié, désormais père de famille, doit au plus vite engranger un minimum de sous pour assurer la pitance à son foyer. Sans contrat – il a refusé de signer pour 7 ans avec Wallis –, il cachetonne sur les planches de Broadway, dans Woman Bites Dogco-écrit par l’auteur du célèbre Kiss Me, Kate. C’est sans doute à cette période que Jacques Tourneur le repère et se décide à l’engager dans son nouveau film, La Griffe du passé (1947), dont Bob Mitchum occupe déjà le haut de l’affiche. Si on s’en souvient aujourd’hui comme d’un joyau du film noir, l’équipe, elle, se rappelle les prises de bec à répétition entre les deux acteurs. Peu importe : Kirk continue de tracer son bonhomme de chemin, qui le mène droit vers un autre plateau, celui de L’homme aux abois (B. Haskin, 1948), sur lequel il se lie d’amitié avec Burt Lancaster, une relation qui durera à l’écran jusqu’en 1986 (Coup double, J. Kanew). Chez les Douglas, l’ambiance n’est alors pas à la franche rigolade pour autant. Diana vient de donner naissance à un second enfant. Tout semble aller pour le mieux. En vérité, le couple ne se supporte plus. Kirk, lui, apparaît dans des productions peu mémorables, souvent pour y incarner des  « fils de pute » tandis que sa femme s’en va rejoindre une troupe théâtrale à Santa Barbara. Ironiquement, c’est à ce même moment qu’il finit par rencontrer un « grand », Joe Mankiewicz, qui lui confie un rôle dans Chaînes conjugales (1949), peut-être même le premier vraiment consistant de sa carrière d’acteur. Hollywood commence à sa piquer d’intérêt pour lui. Le voilà qu’il doit encore faire un choix entre deux productions. D’un côté Passion fatale (R. Siodmak, 1949), une adaptation de classe A par la MGM du Joueur de Dostoïevski, avec Gregory Peck et Ava Gardner. De l’autre, Le Champion (M. Robson, 1949), un petit projet indépendan sur un boxeur talentueux issu des « bas-fonds », un jeune tigre arriviste et têtu comme pas deux. Kirk se laisse séduire par la deuxième option, laissant à un autre célèbre Douglas (Melvyn) le soin de prendre le rôle attribué par Robert Siodmak.

Je ne pense pas été avoir un vrai dur avant d’avoir tourné Le Champion. La vertu n’a rien de photogénique, j’ai donc aimé interpréter des mauvais garçons. Mais à chaque fois que j’en jouais un, j’essayais de trouver du bon en lui, et c’est ce qui m’a permis de garder le lien avec le public.

Kirk Douglas

L’acteur s’investit à fond dans son personnage et choisit d’assurer lui-même les scènes sur le ring, quitte à se prendre de temps en temps un uppercut par-ci par-là.  Izzy doit encaisser un autre coup dur à la même époque avec son divorce, à l’amiable entre les deux époux, mais houleux entre les avocats qui en viennent parfois aux mains. Le Champion fait donc son apparition sur les écrans en plein tourmente pour l’acteur, désormais invité à venir célébrer son succès chez monsieur Jack Warner en personne. Le succès ne lui monte pas à la tête et au contraire, il souhaiterait retrouver la chaleur d’un doux foyer. Son père, qui n’a même pas vu le dernier grand film du fiston, n’est pas bien disposé à le recevoir, trop occupé par la boisson. Il peut en revanche compter sur sa mère et ses sœurs pour lui prodiguer l’amour et l’enthousiasme à la hauteur de ce grand succès incontestable du moment.

Kirk Douglas sur le tournage du Champion, en 1949 © Peter Stackpole/The LIFE Picture Collection/Getty Images

Kirk Douglas et Paul Stewart sur le tournage du Champion, en 1949 © Peter Stackpole/The LIFE Picture Collection/Getty Images

LE CUL-DE-SAC DE DOUGLAS

Kirk se trouve suffisamment requinqué pour affronter à nouveau Hollywood qui l’accueille cette fois-ci à bras ouverts, notamment grâce à Jack Warner, son nouveau mentor. Là-bas, la nouvelle décennie s’annonce féminine pour lui. Rita Hayworth, Patricia Neal, Gene Tierney et bien d’autres vedettes finissent dans ses bras puis son lit, tandis qu’à l’écran il incarne une version romancée du trompettiste Bix Bederbeicke dans La Femme aux chimères (M. Curtiz, 1950), un film qui lui permet de retrouver son amie Betty et de prendre des cours avec Harry James. Kirk pense à s’installer pendant un temps avec une certaine Irene Wrightsman, rencontrée dans un club de tennis huppé de Palm Springs. Le mariage ne se fera pas, notamment à cause du beau-père, antisémite – il en aurait presque oublié que ça existait encore. Au cinéma, Douglas enchaîne les fours, du moins dans son pays. Ainsi de La ménagerie de verre (I. Rapper, 1950), puis Le Gouffre aux chimères (B. Wilder, 1951), mésestimé à sa sortie à salle. Cette déshérence artistique le mène sans doute à tourner dans Une corde pour te pendre (R. Walsh, 1951), son premier western, mais aussi l’un des films qu’il détestait le plus. Kirk accepte de tourner une dernière pelloche gratuitement pour la Warner, l’inepte Vallée des Géants (F. E. Feist, 1952), en échange de la rupture de son contrat. Sa liberté fraîchement acquise, il en profite pour aller tourner La Captive aux yeux clairs sous la direction de Hawks puis attraper une pneumonie dans un torrent artificiel recréé en studio pour l’occasion. Même alors à l’hôpital, l’acteur s’accorde quelques menus plaisirs, en recevant fréquemment la visite de sa très proche amie Marlene Dietrich… C’est un autre séducteur, Clark Gable, qui lui cède la place, cette fois en plateau, pour récupérer un rôle dont il ne veut pas dans Les Ensorcelés, réalisé par Vincente Minnelli en 1952, avec Lana Turner. Kirk Douglas s’en frotte les mains d’avance. Il entend passer sans transition des bras de Marlène à ceux de Lana (Turner), déjà conquise quelques temps plus tôt. La sweater girl se refuse cette fois à lui, à cause d’un mari fou furieux de jalousie, le ténébreux Fernando Lamas. Toujours prêt à s’envoyer en l’air, l’acteur accepte ensuite d’incarner un trapéziste dans un sketch de l’Histoire de trois amours (1953) dirigé par Gottfried Reinhardt, un véhicule des plus classiques pour les stars de l’époque, et notamment la jeune Pier Angeli, dont il apprécie tout particulièrement « le corps magnifique » et le « rire communicatif », des arguments suffisants pour se lancer à sa poursuite outre-Atlantique. L’aventure commence en Israël avec Le Jongleur (1953), réalisé par Edward Dmytryk, un cinéaste communiste repenti qui n’avait pas vraiment hésité à balancer 26 de ses camarades pour retrouver du travail. Et Pier Angeli dans tout ça ? Impossible de la retrouver près de la frontière libanaise. Peut-être aurait-il plus de chance à Rome ? Loupé ! Anatole Litvak lui propose de « changer d’air » à Paris où l’attend un rôle de GI dans son film Un acte d’amour (1953).

Toujours aussi perfectionniste, Kirk se débrouille pour apprendre le français en deux mois, parce qu’il entend tourner dans le patois local, ce qui lui tient particulièrement à cœur. Quelle n’est pas sa déconvenue quand en plateau, toute l’équipe s’adresse à lui… En anglais ! Izzy commence à se lasser de tout : du film, des fastes de Paris, etc. Il croit un temps repérer une petite débutante prometteuse sur le tournage et lui propose de l’emmener avec lui dans ses valises. Elle, c’est Brigitte Bardot, dix ans avant Le Mépris (J-L Godard, 1963). Une autre jeune femme attire également l’attention de Kirk, Anne Buydens, qui pourrait être la candidate idéale pour prendre en charge ses relations publiques. Elle refuse d’abord le poste et l’invitation à dîner de l’acteur, qui finit par obtenir gain de cause et son cœur en la recevant dans son appartement parisien pour le thé. L’affaire se soldera par leur mariage à Las Vegas, le 29 mai 1954, prélude à une union longue de 66 ans.

Kirk Douglas et Anne Buydens, vers 1954 © Corbis/Getty Images

DERNIERS FEUX

Kirk Douglas doit en parallèle continuer de faire tourner la boutique en Italie avec Ulysse (M. Camerini, 1954) puis 20 000 lieues sous les mers (R. Fleischer, 1954) pour les studios Disney la même année. Las de ne pouvoir contrôler la qualité des films dans lesquels il joue, il se décide à prendre les pleins pouvoirs en créant sa propre société de production, Bryna, un nom inspiré par celui de sa mère. La première œuvre maison s’intitule La rivière de nos amours (A. de Toth, 1955), un véritable festival à la gloire d’Izzy qui assure en grande partie les scènes épiques à cheval et se casse le nez en conséquence. Le producteur entend diversifier assez rapidement ses activités  : il investit dans une pièce de théâtre, A very special Baby, un four long d’une seule et unique semaine à Broadway, auquel il n’assiste même pas en personne. Peu importe, Kirk fonce tête baissée avec d’autres idées dans les tuyaux, et notamment celui d’adapter dès 1955 Lust for life (1934), le roman biographique d’Irving Stone sur la vie passionnée de Vincent van Gogh. Il s’investit dans le projet qu’il rachète à la MGM, met entre les mains de Vincente Minnelli pendant que lui fond sa personnalité dans « l’âme très tourmentée » de l’artiste, quitte à finir tout aussi borderline que son modèle. Comme à son habitude, aucun Oscar ne l’attend pour sa performance. Ce sera un autre personnage qui lui permettra de rester à la postérité, celui du Doc Holliday dans Règlements de comptes à O.K. Corral (J. Sturges, 1956), qu’on ne présente plus aujourd’hui, au même titre que ces trois films suivants : Les Sentiers de la gloire (S. Kubrick, 1957), Les Vikings (R. Fleischer, 1958) puis Spartacus (S. Kubrick, 1960). Kirk Douglas enchaîne les productions « de qualité », ou du moins de facture classique, dans les années 60-70, surtout chez les tenants du vieux système des studios alors sur le déclin, de Vincente Minnelli à Otto Preminger en passant par Anthony Mann et Joe Mankiewicz. De son côté, le Nouvel Hollywood ne semble faire que peu de cas de l’acteur, à l’exception de Brian De Palma, fidèle à sa réputation de tête brûlée, qui l’engage pour un thriller d’espionnage horrifique, The Fury (1978) puis Homes Movies (1980), un petit exercice de style récréatif dans lequel Kirk incarne un professeur de cinéma, en charge des cours de « star therapy ».  

Kirk Douglas dans La Vie passionnée de Vincent Van Gogh, en 1956 © MGM

Kirk Douglas dans Furie, en 1978 © 20th Century Fox

L’acteur choisit désormais ses rôles selon ses envies du moment, refusant par exemple ceux de Patton et du colonel Trautman (Rambo,) pour incarner Jekyll et Hyde dans un téléfilm musical avec Donald Pleasence et Michael Redgrave. Les années 80, enfin, restent anecdotiques dans la carrière de l’acteur, avec quelques coups dans l’eau, comme le méconnu Saturn 3 (1980), un nanar SF de luxe qui met un terme par la même occasion à la carrière du grand Stanley Donen. Ses adieux intimes à l’écran, les vrais, Kirk Douglas les fera au tournant des années 2000, avec Une si grande famille (F. Schepisi, 2003), un petit film dans lequel se retrouvent trois générations de Douglas : Kirk donc, son fils Michael et son petit-fils Cameron, en plus de Diana Dill, qui incarne pendant deux heures encore la femme d’Izzy, un rôle abandonné un demi-siècle plus tôt. Le haut de l’affiche, l’acteur l’a depuis belle lurette laissé à sa progéniture, un passage de témoin amorcé en 1963 lorsqu’il incarne McMurphy dans une adaptation pour la scène du roman de Ken Kessey, Vol au-dessus d’un nid de coucou, qu’il essaie pendant des années d’adapter pour le cinéma, ce que prendra en charge, Michael en 1975, avec le succès qu’on connaît – le film recevra cinq Oscars. Pour l’anecdote, on oublie d’ailleurs bien souvent de souligner que c’est le film qui rapporta le plus d’argent à Kirk Douglas, détenteur des droits de l’œuvre originale. Si vous cherchiez le nom de Kirk Douglas dans les années 90, c’était en librairie que vous pouviez très sûrement le trouver. L’artiste consacra la dernière partie de sa très longue existence à l’écriture : de son autobiographie (Le Fils du chiffonier, 1988) et à la fiction (Dernier tango à Brooklyn, 1994), sa dernière œuvre en date racontant la production de Spartacus (I Am Spartacus !, 2012). Le grand orateur perd de sa superbe à cette période, en 1996 précisément, lorsqu’une attaque cérébrale paralyse une partie de son visage et l’empêche de parler correctement. La verve de Kirk Douglas n’en reste pas moins intacte : il en fera le sujet de son one-man show, Before I Forget, en 2009. Que nous reste-t-il aujourd’hui de lui ? Sa fossette légendaire, un grand nombre de rôles iconiques, une incarnation de la virilité old school agrémentée d’un tempérament de feu, mais aussi un homme profondément engagé et révolté, qui insista pour que le nom d’un scénariste blacklisté, Dalton Trumbo, apparaisse au générique de son œuvre (Spartacus). Vivre centenaire ? Kirk n’aurait même pas imaginé ça dans ses rêves les plus fous, surtout sans ses fidèles amis Burt Lancaster et John Wayne.

Copyright photo de couverture :  Christian Kitzmüller