« Quand je dis que j’ai écrit Rambo, on me regarde d’un air stupide » : David Morrell

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Avant Rambo, il y a First Blood, un roman sulfureux de David Morrell paru aux États-Unis en 1972. L’histoire d’un hippie qui traîne son mal-être aux quatre coins des États-Unis après avoir été envoyé faire la guerre au Vietnam. Oubliez vos idées reçues sur Sylvester Stallone et ses muscles saillants. Voici la vraie histoire de Rambo racontée par son auteur.

Boris Szames : Comment a germé l’idée de Rambo ?

David Morrell : J’ai grandi au Canada, dans le sud de l’Ontario, puis je suis parti étudier la littérature américaine à l’Université d’État de Pennsylvanie, en 1966. La guerre du Vietnam commençait à s’intensifier à l’époque, mais on n’en savait rien au Canada. C’était avant les réseaux sociaux, quand les informations prenaient un certain temps à circuler, entre les journaux, la télévision et la radio. J’ai commencé à m’intéresser à l’actualité aux États-Unis quand j’ai découvert les nombreux mouvements de protestation, notamment à travers le combat des afro-américains pour les droits civils. En 1968, on comptait des centaines d’émeutes, si bien qu’on avait l’impression que les États-Unis allaient encore une fois basculer dans la guerre civile. J’ai alors eu l’idée d’un vétéran du Vietnam sévèrement abîmé par la guerre qui voyagerait à travers son pays pour essayer de comprendre pourquoi il était allé se battre.

Vous avez écrit First Blood au milieu d’une autre révolution : la fin du studio system à Hollywood et l’émergence d’une génération de jeunes cinéastes nés à la fin des années 40. Quels films de l’époque vous ont accompagné ?

Je ne me suis jamais remis de La Horde Sauvage. Sam Peckinpah réinventait le western avec des personnages crédibles qui ne parlaient pas pour ne rien dire, et ne prêchaient pas non plus la bonne parole. Je l’ai vu pour la première fois en 1969, en pleine écriture de First Blood. Ce film m’a transformé à jamais. Le point de départ de First Blood, c’est également un autre western, plus ancien celui-là, le premier que ma mère m’a laissé aller voir seul au cinéma : La Dernière Caravane de Delmer Daves. Le film s’ouvre avec une séquence où une bande pourchasse Richard Widmark dans la forêt. Il y a aussi du Rambo chez Glenn Ford dans La Vallée de la Poudre, un western comique. Il joue un éleveur de moutons qui se fait renvoyer d’un patelin et y revient à chaque fois. J’y ai sûrement repensé quand Rambo arrive en ville.

Dans First Blood, vous décrivez Rambo comme un hippie. On est loin de l’image immortalisée par Sylvester Stallone…

Il faut garder à l’esprit que les autorités ne vous réservaient pas un bon accueil si vous portiez la barbe ou une moustache, comme moi aujourd’hui. Pour elles, la pilosité faciale signalait les protestataires et Dieu sait quoi d’autre ! Dans le roman, Rambo porte la barbe et les cheveux longs. C’était ce qu’on appelait à l’époque un hippie, et donc une cible naturelle pour la police. Je me suis donc dit que j’allais mettre en scène une sorte de guerre civile miniature entre les autorités et un vétéran du Vietnam en crise d’identité. La guerre du Vietnam viendrait aux États-Unis, en quelque sorte. Aucun livre dans le genre n’avait été écrit à la fin des années 60. Les romans d’action n’étaient pas pris au sérieux. On les publiait en général au format poche. Avec First Blood, j’ai voulu mettre l’action au service du commentaire social sans faire de grands discours. Les personnages n’allaient pas se lancer dans de nobles tirades. L’action s’en chargerait.

Contrairement à son adaptation au cinéma, First Blood adopte une double focalisation interne. On passe successivement du point de vue de Rambo à celui du shérif Teasle qui le traque. Comment avez-vous eu l’idée d’une telle structure ?

Trouver la structure n’a pas été compliqué. Dans un premier jet de 600 pages, on suivait la chronologie des événements de manière linéaire. Je voulais brosser un portrait de la ville. Donc, on suivait l’adjoint rentrer chez lui dans un chapitre, puis dans le suivait on s’intéressait au juge de paix, etc. Ça ne fonctionnait pas. J’ai fini par couper toutes ces digressions et m’intéresser à deux personnages, qui n’étaient d’ailleurs pas au premier plan dans ma première version. Le roman passait alors successivement de Rambo à Teasle. Cette structure mettait en exergue l’incapacité à comprendre parfois un interlocuteur et les difficultés que ça engendre. Dans First Blood, les deux personnages principaux se détestent instantanément. Ils n’essaient jamais de prendre le temps d’interroger leurs motivations respectives. L’un et l’autre se jugent comme des sales types. Quand ils se croisent, aucune rédemption n’est possible. L’alternance des points de vue a fini par devenir le thème du roman.

Combien de temps s’est écoulé entre l’idée de First Blood et sa publication ?

Environ trois ou quatre ans. J’ai mis beaucoup de temps à l’écrire. Le livre a fait un tabac dès sa parution, surtout grâce à son sujet. Ça a été un succès instantané, ce qui n’arrive pas souvent pour un premier roman. Je n’en reviens toujours pas encore aujourd’hui. Je ne savais pas ce que je faisais. Il a fallu que j’apprenne par moi-même.

Comment ?

Pour gagner ma vie pendant mes études, je donnais des cours à l’Université de Pennsylvanie. J’enseignais aux premières années comment écrire des dissertations. C’était pour la plupart des vétérans du Vietnam qui avaient mon âge. Ils me demandaient pourquoi je n’avais pas fait la guerre. J’étais canadien, marié et père de famille : aucun moyen, donc, qu’on m’envoie au Vietnam, même si je l’avais voulu. A mesure qu’on apprenait à se connaître, ils ont commencé à me parler de leur expérience du retour au pays et de leur difficulté à se réadapter. Ensuite, j’ai interviewé des représentants des forces de l’ordre, etc. C’était un vrai travail de journaliste. Je voulais m’imprégner du vocabulaire de ces gens-là pour créer quelque chose de nouveau. C’est le travail de tout romancier : imaginer d’autres personnalités que la sienne. Un jour, j’ai essayé d’expliquer ça à une psychologue clinicienne et elle a eu un mouvement de recul. Elle me croyait fou à lier !

La Horde Sauvage de Sam Peckinpah, 1969 © Warner Bros.
La Dernière Caravane de Delmer Daves, 1956 © Fox
La Dernière Caravane de Delmer Daves, 1956 © Fox

DE FIRST BLOOD À RAMBO

Qu’est-ce qui a nourri l’écriture de First Blood ?

J’ai d’abord repensé au Solitaire [Rogue Male en VO, ndlr] de Geoffrey Household, un thriller d’aventures qui raconte la traque d’Hitler par un chasseur britannique aguerri en 1939, à l’orée de la Seconde Guerre Mondiale [le film a été adapté en 1941 par Fritz Lang sous le titre Chasse à l’homme, ndlr]. Aussi brillante que soit son idée, le chasseur se fait attraper dès la première page. Le roman ne parle donc pas de la traque, mais plutôt de la fuite. C’est un livre absolument brillant qu’un professeur m’a fait découvrir à l’université. Avec First Blood, j’allait écrire une version bien plus violente du roman de Household. Je me suis aussi inspiré d’une vraie personnalité, Audie Murphy. C’était le soldat américain le plus décoré de la Seconde Guerre Mondiale. De retour aux États-Unis, il a souffert de ce qu’on appelle aujourd’hui les Troubles de Stress Post-Traumatique (TSPT). A l’époque, on parlait de choc, tout au plus. Audie Murphy ne sortait jamais sans son arme et menaçait parfois les gens avec. On l’a d’ailleurs arrêté pour tentative d’homicide parce qu’il s’en était servi pour frapper un dresseur de chiens qui, selon lui, avait facturé trop cher ses services à un ami. La nuit, il gardait son arme sous l’oreiller et s’en servait quand il faisait des cauchemars. C’était un homme très perturbé…

… Et aussi une grande star à Hollywood !

Les westerns aimaient se servir de sa réputation violente. Certains sont très bons comme Une balle signée X de Jack Arnold ou Le vent de la plaine de John Huston avec Burt Lancaster et Audrey Hepburn… Je me suis donc demandé ce qui arriverait à Audie Murphy s’il revenait du Vietnam avec de la barbe et des cheveux longs. Ça m’a servi de base pour créer Rambo.

On raconte que vous avez trouvé le nom « Rambo » en mangeant une pomme. C’est vrai ?

C’est une histoire amusante. Je n’avais pas un sou pendant nos études. Ma femme avait acheté des pommes à 25 cents chez un fermier. Elle a insisté pour que j’en goûte une pendant que j’écrivais. J’en ai croqué un bout . Elle me dit : « Ce sont des pommes Rambo ». On en trouve beaucoup en Pennsylvanie, mais c’est un nom d’origine scandinave. Elle me l’a épelé : « R-A-M-B-O ». J’y ai trouvé le nom puissant dont j’avais besoin pour mon personnage. De grandes choses naissent souvent des petites…

En France, First Blood a été publié puis adapté au cinéma sous le titre Rambo. Pourquoi n’avoir pas choisi ce titre en version originale ?

C’est intéressant de voir à quel point le titre a changé au cinéma. Comme on n’arrivait pas à ranger les VHS et les DVD de First Blood à côté de ses suites dans les vidéoclubs, les studios ont décidé de renommer chaque épisode, ce qui donne aujourd’hui : Rambo First Blood, Rambo First Blood Part two et Rambo III. Si j’ai préféré le titre First Blood, c’est parce que je trouvais que ça sonnait aussi bien que Rogue Male de Household. Il prend tout son sens dans le livre : celui qui fait couler le « premier sang » sera le vainqueur. Stallone le dit clairement dans le film : « They drew first blood, not me » [traduit en VF par « Ils ont commencé, pas moi », ndlr].

Pourquoi avoir situé l’action de First Blood dans le Kentucky ?

Je ne voulais pas reproduire les stéréotypes du sud des États-Unis avec le Mississippi, etc. Le Kentucky est un état limitrophe avec le nord. Ça me permettait de retrouver la saveur du sud sans ses clichés. En plus, le Kentucky comptait encore des recoins sauvages à l’époque. J’avais en tête Daniel Boone et tous ces pionniers qui l’avaient traversé. First Blood rejouait en quelque sorte un western.

Le film a été tourné dans les montagnes de la Colombie Britannique…

Le Canada se montrait généreux avec les sociétés de production qui venaient y tourner. Les taux de change en faveur du dollar américain permettaient aussi de bénéficier de quelques millions de dollars supplémentaires du côté canadien. Dès nos premiers échanges par téléphone, Andrew G. Vajna m’a demandé si l’histoire fonctionnerait encore selon moi si on la délocalisait en Colombie-Britannique. Ce genre de petite attention arrive très rarement à Hollywood. Un producteur n’appelle presque jamais l’auteur du roman qu’il adapte pour le prévenir : « On a fait ci et ça. Ça vous pose un problème ? ». La plupart du temps, c’est plutôt nous qui nous désolons en découvrant le film : « Oh mon Dieu, vous avez retouché mon travail si brillant ! ». Il faut surtout s’interroger sur la cohérence des modifications qu’on apporte au scénario et au tournage. Andrew et moi avons eu beaucoup de conversations dans le genre au fil des ans. Je les aimais beaucoup, lui et son partenaire Mario Kassar.

Une balle signée X de Jack Arnold, 1959 © Universal
Première édition américaine de First Blood
Première édition américaine de First Blood

« KRIS KRISTOFFERSON AURAIT FAIT UN BON RAMBO »

Quand est-ce que Hollywood a frappé pour la première fois à votre porte ?

C’est une aventure longue de dix ans. Après la publication du livre en 1972, Stanley Kramer a été le premier à se manifester. Vu son intérêt pour les thématiques sociales, on peut très bien imaginer ce que ça aurait donné. First Blood serait devenu un brûlot politique entre ses mains. On m’a promis un contrat et de l’argent pendant six mois, mais ça n’a rien donné. Puis un homme très généreux du nom de Lawrence Turman, qui avait produit Le Lauréat, a voulu le développer chez Paramount avec Richard Brooks à la réalisation et au scénario. Brooks est l’un des géants du cinéma pour moi. On lui doit Elmer Gantry, l’adaptation de De Sang-Froid de Truman Capote, et quelques excellents westerns comme Les Professionnels et La Chevauchée sauvage. Brooks a accepté de s’engager sur First Blood. J’ai signé tout de suite. Un an plus tard, la Columbia s’est désengagée pour une raison ou une autre. Le projet a été vendu à Warner Bros. Steve McQueen devait jouer Rambo dans une adaptation réalisée par Sydney Pollack, mon autre réalisateur préféré. Sydney voulait situer l’histoire en 1975. Je me suis rendu compte qu’à l’époque les vétérans n’avaient pas la quarantaine comme Steve McQueen. Le Vietnam était une guerre de jeunes. Le projet a continué de circuler dans les studios avec différents castings jusqu’à ce qu’il atterrisse chez Carolco Picture au début des années 80. Andy Vajna et Mario Kassar ont compris le potentiel commercial du livre. 

Connaissiez-vous Sylvester Stallone à l’époque ?

Pas du tout. A l’époque, il avait fait des films très intéressants. Mais aucun n’avait rencontré le même succès que Rocky. Il a d’abord refusé Rambo. Et puis Stallone s’est ravisé, en se disant qu’il pourrait peut-être retravailler une version du scénario écrite par William Sackheim et Michael Kozoll [destinée à John Badham, réalisateur de La Fièvre du Samedi Soir, ndlr]. Il a eu la brillante idée de donner un couteau à Rambo. J’avais envie de me cogner la tête contre un mur pour me punir de ne pas y avoir pensé ! Richard Crenna m’avait confirmé que McQueen et Stallone savaient quoi faire devant une caméra. Sly sait non seulement jouer, mais il a aussi l’intelligence du mouvement.

On raconte que le premier montage n’a pas été très bien accueilli. C’est vrai ?

Le montage intial de Rambo ressemblait à une longue digression comme le premier jet de First Blood. Il a fallu le réduire à 96 minutes et là c’est devenu quelque chose ! Plus tard, Sly a dit que si Rocky avait été très important pour lui, Rambo a été le film le plus important de sa carrière, car il lui a permis de progresser. On a parlé des heures au téléphone pendant des années.

A quel acteur auriez-vous offert le rôle de Rambo dans les années 70 ?

Certainement pas à Stallone, puisqu’il n’était pas encore connu. Je pense qu’un romancier fait fausse route s’il s’inspire d’un acteur pour donner vie à un personnage. En 1973 ou 1974, j’aurais sûrement choisi Kris Kristofferson, un chanteur qui a eu une très belle carrière au cinéma. Il avait une barbe et des longs cheveux comme Rambo. On aurait d’ailleurs pu croire que c’était lui sur la couverture du livre à l’époque.

Avez-vous été sollicité pour participer à l’adaptation de First Blood ?

Non. C’est assez rare qu’on demande à un romancier d’adapter son livre au cinéma. En règle générale, il demande à ce qu’on l’y autorise, mais ça n’arrive presque jamais. Il y a des années de cela, Universal voulait adapter l’un de mes romans, Usurpation d’identité. Le responsable du développement m’avait dit que le studio avait longtemps dépensé des fortunes pour laisser les romanciers adapter leurs oeuvres et qu’ils n’y arrivaient jamais parce qu’ils étaient trop proches du matériau d’origine. « A moins d’être Stephen King ou Michael Crichton ou capable de marcher sur l’eau, personne ne vous laissera écrire ce scénario. » Il y a des exceptions à la règle, comme William Goldman, un auteur brillant qui a écrit à la fois le roman et le scénario de Marathon Man ou Princess Bride.

Sur le tournage de Rambo, 1982 © Carolco
Sylvester Stallone, 1982 © Carolco
Sur le tournage de Rambo, 1982 © Carolco

CELUI QUI VERSE LE PREMIER SANG

Avez-vous été satisfait des changements apportés à First Blood dans Rambo ?

L’intrigue centrale reste identique au roman, même si la fin est différente bien sûr. Le policier a un plus petit rôle dans le film. C’est l’histoire de Rambo pour l’essentiel… A une époque, j’étais très proche de Stephen King. Il faisait étudier First Blood dans ses cours d’écriture créative à l’Université du Maine. Il considérait que j’avais été très bien traité par Hollywood parce qu’on retrouvait l’intrigue de First Blood dans son adaptation cinématographique. Rambo reste un excellent film avec sa mise en scène, sa photo et la merveilleuse musique de Jerry Goldsmith. Je n’ai pas à me plaindre de ce côté-là.

On ne comprend pas pourquoi le shérif Teasle s’en prend à Rambo dans le film. Stallone n’a rien d’un hippie.

La culture avait changé en une dizaine d’années. Je me souviens de cette scène où Brian Dennehy dit à Sylvester Stallone un truc du genre : « On n’aime pas les types dans ton genre ici. » Les hommes dans le public avaient pratiquement tous la barbe en 1982. Stallone, lui, avait juste les cheveux longs comme eux. J’entendais des spectateurs murmurer : « Qu’est-ce qu’il a de bizarre son look ? ». Ça m’a persuadé que le film était voué à l’échec. Mais une scène a fait la différence : l’ouverture où il rend visite à un camarade de l’armée pour finalement apprendre qu’il est mort des suites d’un cancer provoqué par « l’agent orange ». On se prend tout de suite d’affection pour Rambo : le pauvre type a perdu un camarade et voilà qu’un policier l’arrête à cause de sa dégaine. A partir de ce moment-là, le public était acquis à sa cause.

Cette scène n’existe pas dans le roman, n’est-ce pas ?

Laissez-moi vous raconter une histoire amusante. Elle concerne Mark Rydell, un cinéaste que j’admire. Il a notamment réalisé Les Cowboys avec John Wayne. On peut aussi le voir faire l’acteur dans Le Privé de Robert Altman où il joue un gangster. Un jour, je croise Mark Rydell dans un restaurant de Beverly Hills où j’avais rendez-vous avec des producteurs. On nous présente : « Mark, comment ça va ? Voici David Morrell. Il a écrit First Blood. » Après le repas, j’attends ma voiture devant le restaurant – c’est une coutume à Beverly Hills. Mark sort et me demande : « Alors comme ça, vous avez écrit First Blood ? ». Il pensait que j’avais écrit le film. « Cette scène d’ouverture où Rambo apprend que son camarade est mort, c’est brillant ! ». Je l’ai remercié, en me gardant bien de préciser que je n’en étais pas l’auteur ! (rire).

L’impact du film a-t-il été différent de celui du roman aux États-Unis ?

J’ai l’impression qu’avant le film, les Américains reprochaient aux vétérans d’être allés faire la guerre au Vietnam plutôt que de s’en prendre aux hommes politiques qui l’avaient provoquée. Quand Rambo explique qu’on lui a déjà craché dessus, c’est de l’histoire vraie ! Certaines personnes attendaient les vétérans de retour du Vietnam à l’aéroport pour les insulter. C’était inacceptable !

C’est une thématique au coeur du quatrième Rambo, d’ailleurs co-écrit et réalisé par Stallone.

On est passé un peu vite sur certaines répliques très poignantes du film. Rambo explique que les vieux les déclenchent, les jeunes s’y engagent et que personne ne les gagne. C’est une remarque très simple sur un sujet très complexe. Mais c’était important de l’entendre, d’autant plus que c’est le sous-texte du premier film. A mon avis, la culture américaine a bel et bien changé. On n’a vu personne s’en prendre à l’armée pendant les guerres en Afghanistan et en Irak. Je pense que c’est en grande partie grâce à Rambo. Il faut garder à l’esprit que je voulais montrer le retour au pays d’un soldat très énervé et désabusé qui s’interroge sur le bien-fondé de la guerre. C’est déjà un commentaire politique en soi. Les films ont pris une autre direction, tout en explorant le même sujet d’une certaine manière.

Rambo de Ted Kotcheff, 1982 © Joe Lederer/Carolco
Rambo de Ted Kotcheff, 1982 © Joe Lederer/Carolco
Rambo de Ted Kotcheff, 1982 © Joe Lederer/Carolco

« LES SOVIÉTIQUES ONT VU RAMBO ARRIVER »

Comment avez-vous été amené à signer les novélisations de Rambo II et III ?

Si vous avez lu First Blood, vous savez que Rambo meurt à la fin. Je le précise d’ailleurs au début de la novélisation de Rambo II. Si j’ai accepté d’écrire les suites, c’est surtout parce que les scénarios n’étaient pas consistants. Rambo II est une parodie de film d’action très drôle, mais on ne pouvait pas prendre au sérieux son script de 87 pages : « Rambo saute et abat ce type », etc. Je me demandais ce qu’il ressentait en retournant au Vietnam dans le deuxième film. Une première version du scénario avait été écrite par James Cameron, bien avant qu’il ne devienne le réalisateur d’Aliens. C’était une mine d’or avec une histoire merveilleuse, mais très sombre et tortueuse. Rambo était plus iconique que jamais. Le studio n’a pas voulu du scénario. Il en reste quelques éléments dans le film. La novélisation mélange à la fois l’histoire de Cameron, celle du scénario de tournage et mes idées. Elle est restée pendant six semaines dans le classement des best-sellers du New York Times.

La gestation de Rambo III semble avoir été plus compliquée…

On m’a proposé d’en écrire le scénario bien avant celui de Sheldon Lettich. Ma version se déroulait en Amérique Centrale. Comme dans le film, Trautman se faisait kidnapper – par des révolutionnaires et non des Soviétiques – et Rambo allait le sauver. Rambo organisait l’évasion avec la femme de Trautman, une officière des Forces Spéciales, qui maniait les armes aussi bien que lui. Les producteurs m’ont révélé que le scénario avait été refusé parce qu’on pensait que certains spectateurs n’accepteraient pas de voir une femme experte en action. C’était en 1986, juste avant la sortie d’Aliens. Le public était évidemment prêt pour ce genre de personnage féminin. Je reste persuadé qu’ils ne voulaient pas risquer d’éclipser Sly. En tout cas, ils ont délocalisé l’action en Afghanistan, occupé par l’URSS à l’époque. Dans ma novélisation, Rambo comprenait que l’Afghanistan était le Vietnam des Russes. Un équivalent soviétique de Rambo faisait le même constat que lui. Rambo III est sorti le week-end où l’URSS s’est retirée de l’Afghanistan. On s’amusait à dire que les Soviétiques avaient vu Rambo arriver. Le film, qui traitait d’un sujet éculé, n’a pas attiré le public que Carolco espérait.

Comment Rambo a-t-il fini par devenir une parodie de G.I. Joe selon vous ?

Le Rambo du premier film n’a rien à voir avec celui des autres films. C’est un homme très en colère. Il est pitoyable. Avec les yeux très expressifs de Stallone, on ressent de la pitié pour lui. Rambo devient ensuite une réclame pour l’armée. La parodie et l’absude sauvent le deuxième film à mes yeux. Il y a même des scènes très drôles. Des instructeurs des forces spéciales m’ont appris qu’ils avaient l’habitude de montrer le film à leurs élèves et qu’ils se marraient bien. D’un autre côté, Rambo III est ennuyeux à mourir. Ça devait être un superbe film à l’origine. Rambo allait sauver Trautman en Afghanistan. Il se soumettait à des rites de passage pour obtenir le respect d’une tribu locale. Il traversait des tempêtes de sable, des montagnes enneigées, et dans le troisième acte, il s’enfuyait avec des orphelins de guerre et une femme médecin hollandaise. J’ai écrit la novélisation de Rambo III pour donner un apercu de ce qu’aurait dû être le film.

Que s’est-il passé ?

Il a y eu toutes sortes de problèmes pendant la production. Les tempêtes de sable et les rites de passage ont disparu à mesure qu’on réduisait le budget. Le film s’est réduit à montrer l’évasion de Trautman avec l’aide de Rambo. Avant de tourner John Rambo, Stallone m’a téléphoné pour me prévenir qu’il allait faire un quatrième film violent dans le genre de Sam Peckinpah. Il regrettait d’avoir fait l’apologie de la guerre dans les deux précédents films. John Rambo serait un retour aux sources. Malheureusement, les producteurs ont retiré de très bonnes scènes pour en faire un simple film d’action. On peut se faire une idée de ce que le film aurait dû être avec la director’s cut. Mais il reste meilleur que le 2 et le 3. Au final, on a le Rambo du roman et de son adaptation, et le Rambo des deux premières suites. Les quatrième et cinquième films n’ont rien d’un Rambo. Je ne sais pas ce que c’est.

Avez-vous été consulté pour les quatrième et cinquième films ?

Non. Avec Carolco, on échangeait tout le temps. Je sais bien que les films doivent être différents des livres pour s’adapter au marché. L’Amérique a beaucoup changé depuis la présidence de Ronald Reagan. La vraie question à se poser, c’est : est-ce qu’on peut s’adresser au marché avec une certaine dignité ? Carolco a fait faillite au milieu des années 90 à cause de L’île aux pirates, un énorme flop qui lui a coûté beaucoup d’argent. C’est pourtant loin d’être un mauvais film. J’aimais beaucoup les gars de Carolco. Ils faisaient du cinéma à l’ancienne.

Sur le tournage de Rambo III, 1987 © DR
David Morrell et Sylvester Stallone, 1987 © DR
David Morrell et Sylvester Stallone, 1987 © DR

RAMBO CONTRE STALLONE

Puisque vous mentionnez Reagan, on ne peut passer à côté de sa très célèbre allusion à Rambo lors d’une prise de parole : « Hier soir j’ai vu Rambo II, et maintenant je saurai comment gérer ce type de situation »…

Encore une réplique terrible ! Quand il l’a prononcée, j’étais à Londres pour faire la promotion d’un des mes livres à la télévision. Ronald Reagan était intelligent. Il savait comment utiliser les films pour communiquer avec ses électeurs. Je ne pouvais rien faire. Avec le recul, ça me fait plutôt rire.

Rambo souffre aussi de l’image « d’armoire à glace décérébrée » qu’on colle à Stallone depuis les années 80. Au point d’occulter First Blood

C’est vrai, et on ne peut pas l’ignorer. On m’a déjà dit Rambo faisait partie des cinq personnages les plus mondialement célèbres avec Sherlock Holmes, Tarzan, James Bond et Harry Potter. Beaucoup de gens pensent connaître le personnage d’après les images du film. Rambo n’est pas violent, certes à part quand on voit un type qui tombe d’un hélicoptère. Je peux en revanche justifier la violence de mon roman par le contexte dans lequel je l’ai écrit. Ça ne l’a pas empêché d’être étudié dans des lycées et à l’université pendant des années. Parfois, quand je dis que j’ai écrit First Blood, on me regarde d’un air stupide. Les gens pensent à Sylvester Stallone. Et puis, il y a un silence gênant pendant une minute. Rambo sert de test décisif pour connaître les gens. Quand on mentionne son nom, on obtient toutes sortes de réactions en fonction du rapport de son interlocuteur avec le personnage, même s’il est peu probable qu’il ait lu le roman. Plus personne ne lit !

Quel écho trouve encore aujourd’hui First Blood selon vous ?

Le thème du roman traverse encore aujourd’hui la société américaine. On n’essaie pas de comprendre le point de vue de l’autre. Je ne mentionne que deux ou trois fois le Vietnam dans le roman. On le lit encore aujourd’hui, ce qui signifie qu’on ne l’aborde pas comme une histoire enracinée dans la fin des années 60. Rambo est toujours d’actualité. Peut-être aussi grâce à Hemingway.

Pourquoi ?

J’essayais d’écrire un livre inédit, un peu comme il l’avait fait. Je n’oserais jamais me comparer à lui : on n’a pas besoin d’un autre Hemingway ! Mais d’une certaine manière, on peut le voir comme un « auteur d’action ». Lisez Pour qui sonne le glas et En avoir ou pas : il ne tombe jamais dans les clichés. Je me suis demandé si je pourrais faire la même chose avec First Blood. Est-ce que j’étais capable d’écrire un roman d’action débarrassé de tous les clichés, mais de manière à ce que ça soit du jamais vu ? Apparemment, j’y suis arrivé puisqu’il est encore publié.

Rambo, de David Morrell (Gallmeister, 270 p., 10€).

Copyright photo de couverture : Joe Lederer/Carolco.