« Le queer, c’est l’avenir ! » : la pin-up à travers les âges par Mélanie Boissonneau

par

A l’occasion de l’exposition Divine Marilyn à la Galerie Joseph du 9 juillet au 22 septembre 2019, nous avons décidé de poursuivre notre exploration du mythe hollywoodien en interrogeant le personnage de la pin-up et ses avatars féministes, par-delà toute question de genre. Mélanie Boissonneau, docteure en études cinématographiques et audiovisuelles, enseignante-chercheuse, membre de l’IRCAV, mais surtout auteure du bien-nommé Pin-up au temps du pré-Code (1930-1934), nous semblait toute indiquée pour déconstruire un fantasme hypesexualisé créé de toutes pièces par une société puritaine et patriarcale.

Pin-Up au temps du pré-Code (1930-1934), disponible aux éditions LettMotif, nous révèle la face cachée d’une parenthèse enchantée de quatre ans, avant que l’homme providentiel d’Hollywood, William Hays, ne soit appelé à la rescousse par les moguls pour « lutter contre la dépravation des âmes ». 500 pages durant, le lecteur découvre avec jubilation un véritable travail d’entomologue, à la découverte d’un archétype, la « pin-up », jeune femme à la beauté excitante qu’on épingle dans les chambrées. Cette army girl a traversé les genres et les époques, de Jean Harlow à Dolly Parton, en passant par Marilyn Monroe et Betty Boop, des magazines au écrans de cinéma jusqu’aux nez d’avion. Mélanie Boissonneau parvient à nous démontrer avec un enthousiasme contagieux la construction historique, politique et culturelle d’un idéal féminin hollywoodien autant infantilisé par le système de studio que détourné par la construction et l’idéalisation d’un corps transcendé. Tantôt Varga Girl pour Alberto Vargas (Esquire), playmate pour Hugh Hefner (Playboy), la pin-up surgit dans une société patriarcale et puritaine où jouer à la « ravissante idiote » permet de faire éclater les stéréotypes. Quatre études de cas, dont ceux de Jean Harlow, Betty Boop, Jane Parker ou encore Mae West, permettent de nuancer la portée subversive de personnages féminins hypersexualisés qui essaient d’exister tant bien que mal. Le 2 février 1934 marquera une rupture décisive dans l’histoire des mœurs hollywoodiennes avec le renforcement d’un Code censé ramener le cinéma dans le droit chemin. Mélanie Boissonneau tourne dès le lors le regard vers l’avenir, nous invitant ainsi à contrarier les schémas conventionnels des genres quels qu’en soient les moyens (burlesque ou autres). Notre insatiable curiosité ne pouvait se satisfaire d’une invitation aussi jouissive à briser les barrières d’un patriarcat encore bien trop oppressif à une époque où porter un smoking robe fait encore les choux gras de la presse. C’est donc pourquoi nous avons décidé d’échanger avec une spécialiste du pré-Code, des représentations de genre (et du cinéma de genre tout simplement) pour évoquer une heure durant les pin-up, Marilyn Monroe bien sûr et les super-héroïnes contemporaines. Rencontre avec une boxeuse dans l’âme dont la broche à l’effigie de King Kong nous laisse encore bien rêveur. *

UN JEU TRANSGRESSIF

Boris Szames : Au cours d’un siècle d’émancipation féminine, quelles stratégies de réappropriation du corps féminin ont déployé les pin-up ? Quelles clefs apportent-elles pour l’émancipation de ces corps aujourd’hui ?

Mélanie Boissonneau : On distingue trois postures qui permettent à la pin-up de passer inaperçue : la mise en scène de soi, l’inadvertance et l’idéalisation. Ces trois postures permettent aux femmes d’exister en quelque sorte. C’est d’autant plus vrai que chaque époque voit se développer de nouvelles formes de pin-up autour de cette stratégie. Encore aujourd’hui des femmes continuent à « jouer » et c’est comme ça qu’elles arrivent à exister. Ce jeu, c’est de la mise en scène. Et cette mise en scène passe par la construction d’un corps qui permet de jouer à être une autre femme. Certaines actrices contemporaines par exemple participent à la réappropriation de l’esthétique marylinienne. L’important reste de savoir comment on va idéaliser son corps. Prenons Mae West (ci-dessus). Elle ne correspondait absolument pas aux canons de beauté hollywoodiens dans les années 30. Elle était ronde alors qu’on mettait plutôt en avant des corps filiformes. Et son âge… ! On en parle du tunnel des cinquante ans ? Mae West devrait servir de modèle pour toutes les actrices de plus de trente ans qui pensent devoir accepter des rôles de grand-mère.

Hollywood offre un panorama restreint du personnage féminin à l’écran : la vamp, la femme fatale, la pin-up…  1953 voit émerger un nouvel archétype : la playmate, littéralement la camarade de jeu, une girl next door quelque peu dévêtue. Dans quelles conditions apparaît la diva quarante ans plus tard ?

La diva ne me semble pas vraiment moderne. Elle appartient plutôt au star-système qui a succédé à l’ère des studios. Dès les années 20 on fait passer les actrices pour des personnalités complètement folles. Jean Harlow (en haut à gauche), Theda Bara étaient déjà des divas. Mae West était connue pour mener son monde à la baguette. La légende autour des actrices se créait comme ça. Trente ans plus tard, Jane Mansfield (en haut à droite) fait peindre sa villa en rose. Elle n’apparaît en public qu’avec des chihuahuas, parmi toutes ses exigence les plus folles. D’un autre côté, quand Marilyn essaie de devenir productrice, elle veut changer son image auprès des spectateurs. Le problème, c’est qu’elle organise alors une conférence de presse dans une robe fourreau blanche. Et c’est ce que tout le monde a retenu malheureusement. Qui sait si les journalistes seraient venus si Marilyn était venue en K-way ? On voit là au contraire une véritable difficulté pour elle à se défaire de son image. 

Comment peut-on mettre à jour une lecture politique de cette image construite par le jeu ?

Le fait de jouer permet de contourner parfois la censure, et donc de faire passer « en douceur » des idées, des corps, des relations hommes-femmes autres. Jouer relève du camouflage. C’est le cas de Jane dans la série des Tarzan. Sous couvert d’être libérée, elle veut s’émanciper de son milieu bourgeois et revendique une sexualité très libre avec un homme qu’elle a rencontré dans la jungle. Jane joue donc de temps en temps à la pin-up un peu naïve pour faire passer ça. J’en reviens à Mae West. Qu’une femme de quarante ans soit une pin up dans les années 30, ça c’est subversif. Elle n’est pas du tout ce qu’on attend d’une actrice hollywoodienne. Mais surtout, Mae West va jouer à la pin-up jusqu’à sa mort. Vous vous rendez compte ? Sexualiser une personnage âgée… On est en plein dans la transgression des normes ! Toutes ses apparitions publiques se font sur ce mode, même à la sortie de Sextette (1978) de Ken Hughes. L’image de pin-up de Mae West est complètement déconnectée de la réalité. Elle reste la même des années 30 aux années 70 avec ses robes, son chignon etc. C’est sans doute ce qui explique qu’elle a été récupérée par les milieux queer. Peut-être même que Mae West elle-même était queer avant l’heure sans même le savoir. 

© MGM

MARILYN MONROE, LA BLONDE ÉCERVELÉE

On attribue plutôt le rôle de « blonde écervelée » à Marilyn Monroe, rarement celui de la pin-up naïve que vous évoquez. Pourquoi ?

Il faut d’abord savoir que la plupart des gens qui parlent de Marilyn Monroe n’ont pas vu ses films, ou alors parfois à la limite Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder. Marilyn n’est pas tant écervelée que victime de son propre corps. Mae West, elle, en joue. On la prend pour une prostituée mais c’est un chef d’entreprise dans Lady Lou (1933) de Lowell Sherman. Marilyn Monroe, au contraire, n’arrive jamais véritablement à retourner la situation. Quand on regarde ses films, ce qui est marquant, c’est de voir comme elle est victime de la société qui l’entoure. Je pense notamment à Bus Stop (1956) de Joshua Logan. Un cow-boy interprété par Don Murray lui court après pendant tout le film. A force de refus, il finit par l’attraper au lasso comme une vache ! On comprend quand elle prend enfin le bus qu’elle est en route pour le mariage… Ce qu’elle a passé tout un film à refuser ! Marilyn Monroe est donc bel et bien victime jusque dans sa vie privée. Ses mariages étaient tout aussi mis en scène pour la victimiser : DiMaggio, Miller… Les médias ont à chaque fois essayé de lui trouver un pygmalion pour la mettre en position d’infériorité. La vérité, c’est qu’elle concentrait à elle seule la gloire et la célébrité dans chacun de ses couples.

Comment Marilyn Monroe est-elle parvenue à pénétrer notre inconscient collectif par-delà son statut de victime ?

Comme l’explique si bien Richard Dyer dans Le star-système hollywoodien, Marilyn Monroe est arrivée à un moment donné où elle correspondait à son époque. Son émergence correspond à un renouveau de la sexualité contemporaine aux États-Unis. L’apparition du magazine Playboy, par exemple, met en avant une autre image de la sexualité féminine. Marilyn Monroe, justement, peut y faire des photos toutes nues. Le sexe n’a rien de sale. Elle propose certes une sexualité très libérée mais elle ne fait pas du tout peur car aucun de ses personnages ne pose problème aux hommes. Elle n’est pas du tout une femme fatale. En revanche, quand on lit des critiques de ses films, on voit à quel point son corps continue à incarner une obsession, même encore aujourd’hui.

© Entertainment Pictures
Quand La Rivière sans retour (1954) d’Otto Preminger est repassé dans le cadre d’une rétrospective, un critique de Télérama affirmait son obsession pour une scène où Marilyn Monroe se fait frictionner dans une couverture par Robert Mitchum (ci-dessus). Marilyn a totalement incarné son époque. On pense à Kennedy, à la fameuse robe blanche… Elle est devenue une icône en fait notamment grâce à Andy Warhol et au pop art, mais aussi peut-être parce que la plupart des gens n’ont pas vu ses films.

Marilyn Monroe apparaît clairement comme une réponse au fantasme de la société des années 50, pourtant encore puritaine. A-t-elle été vécue d’une quelconque façon comme une menace ?

Marilyn Monroe n’était pas du tout appréciée par les femmes à cette époque. Contrairement à d’autres actrices, elle n’a que rarement été considérée comme un modèle possible en son temps. C’est d’ailleurs ce que montre bien Richard Dyer : comment les incarnations « maryliniennes » ont pu évoluer avec leurs époques. Aujourd’hui par exemple, on observe un mouvement qui essaie de la transformer en icône féministe. Cette stratégie de réaproppriation contemporaine lui attribue un rôle qu’elle n’avait pas du tout dans les années 50. Je pense notamment à la publication de ses dernières séances de psychanalyse. Au contraire, là, on l’objectifie. C’est encore une façon de la victimiser et de l’infantiliser. C’est immonde ! Du côté d’Hollywood, comment pouvait-elle s’en sortir dans une société régie par les studios ? Le système créait des stéréotypes assez rigides. Ce sont les fameuses trois blondes dont parle Tarantino dans Pulp Fiction : Marilyn Monroe donc, Jane Mansfield avec ses mensurations cartoonesques et Mamie Van Doren, plus rock’n’roll. Il est difficile de naviguer entre ces modèles. Quand on était cataloguée blonde intellectuelle comme Ingrid Bergman par exemple, on ne pouvait pas incarner des femmes un peu légères. Il fallait rester dans sa case. 

© The Weinstein Company
© Paramount
© Photofest

Blonde, brune, rousse… Quelle est la symbolique de la couleur capillaire dans la représentation du corps féminin à l’écran ?

Tout d’abord, être blonde à Hollywood ne veut rien dire. Parlons plutôt de glamour. Il y a celui de Jean Harlow, celui de Marilyn Monroe… Aujourd’hui il pourrait y avoir Michelle Williams (ci-dessus à gauche) qui tient d’ailleurs le rôle principal de My week with Marilyn (2011) de Simon Curtis. Ce glamour-là n’est plus trop à la mode. On va préférer les blondes glaciales et intellectuelles, comme Doris Day (ci-dessus à droite), Ingrid Bergman et Grace Kelly. Pour les rousses, c’est différent. Il y a la rousse « rigolote » façon Clara Bow, la rousse incendiaire comme Jean Harlow dans La Femme aux cheveux rouges (1932) de Jack Conway, la rousse « croqueuse d’hommes » interprétée par Rita Hayworth. D’ailleurs, il faut préciser que son changement de couleur de cheveux marque une claire rupture dans sa carrière. Elle devient blonde dans La Dame de Shangaï (1948) réalisé par Orson Welles qui l’oblige en plus à se couper les cheveux. C’est quand même incroyable pour une actrice d’origine latine qui devient célèbre une fois rousse alors que son vrai nom, Margarita Cansino, évoque une brune ténébreuse ! C’est pareil pour Marilyn Monroe qui ne devient célèbre qu’en teignant ses cheveux. Richard Dyer le montre bien dans son essai White. Il explique que la femme blonde incarne le désir parce qu’elle est plus blanche que blanche. C’est une sorte de possession ultime dans l’imaginaire américain. Marilyn Monroe n’échappe donc pas à la règle : ses robes iconiques sont toutes blanches, en satin. On peut aussi évoquer Mae West, mais là encore, c’est différent. Sa blondeur fait écho au glamour hollywoodien, à la légèreté, la frivolité, la sexualité tout simplement. Et n’oublions pas non plus Betty Boop (ci-dessus au milieu) qui devient rousse le temps d’un court-métrage, Poor Cinderella (1934). C’est très surprenant, mais ponctuel dans sa carrière.

© Agnès Varda

UN CINÉMA AU MASCULIN SINGULIER

Vous égratignez avec une jubilation certaine le positionnement rétrograde d’une bonne part des auteurs de la Nouvelle Vague. Quel héritage ces cinéastes ont-ils légué aux réalisateurs contemporains sur le regard porté à l’égard du corps féminin ?

Je vous renvoie au livre de Geneviève Sellier, La Nouvelle Vague : Un cinéma au masculin singulier qui dit tout dans son titre. Nous avons affaire à un cinéma fait par des hommes pour des hommes, où les femmes sont infantilisées. Ça n’est rien d’autre que ça : des films de jeunes hommes blancs parisiens hétérosexuels issus globalement de milieux bourgeois qui parlent « entre potes » des femmes qu’ils rencontrent. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard qu’Anna Karina soit devenue une égérie de la Nouvelle Vague. C’est une jeune femme d’origine étrangère qui utilise un vocabulaire assez pauvre avec une petite voix enfantine. Par exemple, dans Une femme est une femme (1961) de Jean-Luc Godard, elle passe pour un personnage complètement stupide, naïf et mièvre avec son « Je ne suis pas infâme. Je suis une femme ». Et pourtant, il se passe pleins d’autres choses dans le cinéma français en marge de la Nouvelle Vague. Prenez Lola (1961) de Jacques Demy. C’est une femme qui chante et fait du strip-tease comme Anna Karina, mais elle s’assume et parvient à élever un enfant toute seule. Malheureusement le cinéma français souffre aujourd’hui majoritairement de ce regard hérité des « jeunes turcs ». Ça se voit notamment chez François Ozon et Quentin Tarantino. Le seul personnage de Reservoir Dogs (1992), c’est la conductrice qui se fait éjecter de sa voiture au début du film. Pour les relations de genre, on repassera !

Est-ce que l’évolution vers un cinéma plus féminin, ou du moins plus paritaire, passe forcément par les réalisatrices ? Au fond, peut-on parler de « films de femmes » ?

Un cinéma féminin, ça n’a pas de sens ! Je ne me reconnais absoulement pas dans la féminité de Catherine Breillat par exemple. Il y a autant de différences entre deux femmes qu’entre deux hommes, et un homme et une femme. Un film de femmes, c’est un label créé pour mettre en avant des réalisatrices. C’est pour ça que Le Festival de Films de Femmes de Créteil peut être à la fois important et problématique. C’est important parce que ça permet de diffuser des oeuvres qui ne bénéficieraient d’aucune visibilité sans ce « coup de pouce ». Mais parce qu’on est une femme réalisatrice, ça me pose problème de me dire qu’on va retrouver une « patte » pour nous mettre toutes dans le même moule.  Ce qui est intéressant, c’est d’analyser la réception d’un film par les critiques et les spectateurs selon le sexe du cinéaste.

© Guardian
Par exemple, Terrence Malick qui filme la forêt en plan zénithal dans Le Nouveau Monde (2005), c’est métaphysique. Mais pour Jane Campion dans La Leçon de piano (1993), ça raconte son intériorité, alors que tous les deux produisent les mêmes images. Pourquoi vouloir rendre psychologique un simple plan qu’elle a sans doute tourné parce qu’elle le trouvait beau ? Vous saviez que Jane Campion était anthropologue ? Non ? Personne ne s’est aventuré à lire ses films sous cet angle. J’ai l’impression qu’on attend des choses différentes selon le sexe du réalisateur. Au contraire, on peut faire des films très féminins en étant un homme. Je ne sais pas ce que ça veut dire film féminin. Kathryn Bigelow en constitue un bon exemple. Elle ne réalise que des films de genre : horreur, science fiction, thriller, guerre, social. Si les femmes font autant de films sur leur « intériorité », c’est qu’on ne leur donne pas suffisamment de budget pour tourner autre chose. Si on n’a pas d’argent, on ne fait pas Star Wars. On filme autour de soi… Ou alors on est Sam Raimi, mais c’est une autre histoire (rires).
© Warner Bros
© Universal

On a l’impression de nos jours que la pin-up réactualisée n’a pas su se défaire de ses attributs mais les transcende. Je pense notamment aux talons que portent Bryce Dallas Howard et Gal Gadot, respectivement dans Jurassic World (2015) de Colin Trevorrow et Wonder Woman (2017) de Patty Jenkins. Peut-on y voir les symptômes du féminisme contemporain et de ses revendications à Hollywood ?

Vous citez deux films avec des femmes fortes dans les rôles titres. C’est inédit, si on évite de compter les trois précédents échecs que constituent Catwoman (2004) de Pitof, Supergirl (1984) de Jeannot Szwarc et Elektra (2005) de Rob Bowman. Avec Wonder Woman, on se rend enfin compte qu’on peut faire un bon film avec une super-héroïne. Mais attention, on ne va pas non plus trop loin dans la représentation de la femme forte. Wonder Woman reste bien chargée : elle aime bien les bébés et c’est l’amour qui la sauve. D’ailleurs, le personnage vu par Zack Snyder et Patty Jenkins n’est pas filmé de la même façon. Le premier s’intéresse plutôt à ses fesses et à ses seins. Pendant les combats, il la cadre de dos comme dans les comics. Jenkins, elle, ne va pas trop s’attarder là-dessus. Elle s’intéresse aux parties utiles : les bras, les jambes etc. Ces deux-trois astuces subtiles permettent d’avancer un peu certes, mais la partie n’est pas gagnée pour autant. On reste sur le même niveau d’inégalités en terme de nombre de personnages féminins dans les films et de réalisatrices. Et si vous remarquez, plus on monte dans les succès du box-office, moins il y a de femmes. On les retrouve plutôt dans les films indépendants plus modestes. Les décisionnaires n’ont pas assez confiance pour laisser les femmes gérer de gros budgets. Une étude récente de l’Université d’Annenberg démontre que plus les femmes se retrouvent impliquées dans le processus créatif, plus il y a de personnages féminins à l’écran. Vous en avez un bon exemple avec les deux premières saisons de la série Jessica Jones où l’on voit clairement la parité du côté de la réalisation. Résultat : les femmes parlent davantage.

Quand on parle cinéma de genre, on pense forcément à John Carpenter. Comment se positionne le réalisateur dans le renouvellement de l’iconographie de la femme idéale, notamment lorsqu’il donne naissance au slasher avec Halloween en 1978 ?

Jamie Lee Curtis interprète une girl next door dans La Nuit des Masques. C’est toujours la fille asexuée, plus ou moins vierge, avec un prénom souvent non-genré. Le dernier Halloween (2018) réalisé par David Gordon Green et produit par John Carpenter nous montre une passionnante histoire de transmission et d’héritage des techniques de la final girl, de mère en fille jusqu’à la petite-fille. Comme si chaque génération améliorait la précédente. Jamie Lee Curtis, devenue folle, sur-protège sa fille alors que c’est sa petite-fille, la final girl, qui prend en charge d’assassiner le monstre. Pour le reste, on ne peut pas vraiment affirmer que Carpenter soit un cinéaste qui produise un grand nombre de pin-up.

© Blumhouse

La pin-up pourrait-elle être non-genrée dans l’héritage des nouvelles revendications transgenres actuelles ?

J’espère bien ! Quand on voit la réaction des spectateurs face à un personnage queer à l’écran, ça reste encore compliqué. Même au-delà du cinéma : prenez Bilal Hassani et tous les messages de haines qu’il reçoit quotidiennement. Et pourtant il ne porte sa revendication politique que sur lui-même. Il s’exprime même de façon assez neutre au final. Je pense aussi à Billy Porter qui a porté une grande robe sur le tapis rouge pour les Oscars cette année. Et ça, c’est génial : il joue à la pin-up sans aucune barrière de genre. Le queer, c’est l’avenir.

* Propos recueillis à Paris, le 3 juillet 2019.

Copyright photo de couverture : Christopher Poulain.