« Cultiver le goût du bizarre » – Entretien avec Marie Casabonne

par

Marie Casabonne

Panic! Cinéma : un nom qui promet moults plaisirs coupables aux cinéphiles perdus dans les tréfonds d’un vidéoclub tout droit sorti des nineties. C’est sous cette appellation que Yann Olejarz organise depuis trois ans des soirées foutraques mais joyeuses au Forum des Images avec l’équipe de Chroma.

Bisseux, nanarophiles, geek et cinéphiles s’y retrouvent pour communier autour d’un film culte, d’une perle rare ou d’une série B dans l’irrévérence la plus totale. Car chez Panic !, on considère que tout est bon en projection. Il suffit de jeter un coup d’œil à leur programmation très éclectique pour voir se côtoyer pêle-mêle, sur scène et à l’écran : Tommy Wiseau, Joe Dante, Florent-Emilio Siri, Richard Kelly, Rob Zombie, Eric Judor, Tobe Hooper, Michel Hazanavicius… Ces drôles de trublions ne semblent décidément jamais à bout de souffle. Mais alors que sonne l’heure de la troisième et dernière saison des séances mensuelles de Panic! X Chroma, ils nous semblait nécessaire, pour ne pas dire indispensable, de partir à la rencontre d’une grande  famille de cinéma, dont la séance de Noël consacrée à La Vie est Belle de Capra fut marquée par une surprenante distribution de cadeaux moches.

Après la remise en fanfare du prix du plus beau couple du bal de promo (Heathers), nous nous sommes donc décidés à rencontrer Marie Casabonne, présidente et programmatrice de l’association gestionnaire de Panic! Cinéma. Quelle ne fut pas notre excitation à la rédaction lorsqu’on nous donna le feu vert pour interviewer celle qui affirme, à l’en croire, aimer la symétrie, la coriandre, les chats et surtout… Jurassic Park ! Cette jeune cinéphile toulousaine peut se targuer d’avoir accompli un bon nombre de tâches dans la to-do list du parfait petit cinéphile, comme rencontrer Lloyd Kaufman, ou encore traduire les inénarrables souvenirs du tournage de The Room recensés dans The Disaster Artist, co-écrit par Greg Sestero et Tim Bissell. Ni une, ni deux, on a donc causé longuement cinéma de genre, Netflix et invasion extra-terrestre avec l’unique cinéphile capable de porter avec élégance un pull de Noël à l’effigie de Guizmo. *

© DR

Panic! en salle

Boris Szames : Panic! Cinéma se définit comme un écart de conduite dans le cinéma français. Qu’entendez-vous par là ?

Marie Casabonne : L’idée de Panic! Cinéma, c’est de créer une sorte de ciné-club comme il n’en existe pas ou peu en France, sur le modèle des séances de midnight movies aux États-Unis, du Rocky Horror Picture Show, des cinémas Alamo Drafthouse aux États-Unis ou du Prince Charles Cinema de Londres. Le principe, c’est de proposer une expérience décalée, immersive et totale, depuis les animations dans la file d’attente, avec les membres de l’équipe déguisés en personnages du film, suivies par des rencontres avec les invités, et des débats avec le public. On veut vraiment placer le spectateur au centre de tout le dispositif, on veut qu’il y ait des vrais interactions et échanges, et que ça soit fun.

Quel(s) rôle(s) occupez-vous dans l’équipe ? Comment se décident la programmation et les événements ?

Je suis la présidente de l’association depuis trois ans. Avant ça, j’étais à la photo, à la com’, aux réseaux sociaux. Maintenant je m’occupe de la programmation, de la présentation des séances, d’une partie de la production, du community management. On est tous un peu multi-taches… Pour la programmation, avec Panic! Cinéma on marche au coup de coeur. Cette année on a fait seulement trois séances en tant que Panic! seul, mais c’était vraiment des séances qui nous tenaient à coeur ([sg_popup id= »224811″ event= »inherit »]One Cut of the dead[/sg_popup]car on a adoré le film et on voulait aider à le faire connaître en France, [sg_popup id= »224813″ event= »inherit »]Vampires en toute intimité[/sg_popup] avec Nicolas et Bruno dans le cadre du Drôle de Festival au Forum des images car on adore leur travail et leur adaptation française du film, et Red 11 de Robert Rodriguez dans le cadre de la Reprise de la Quinzaine car le projet nous plaisait.) Pour Panic ! X Chroma c’est un peu différent, car on est nombreux à se charger de la programmation : Panic!, les Chroma, et le Forum des images. On a une interminable liste de films qu’on a commencée avec les Chroma en début de première saison et complétée au fur-et-à mesure et on pioche dedans en fonction de nos envies, de l’actualité, des opportunités avec les invités, et de la disponibilité des copies et des droits des films.

© Lilia Belakhdar

Panic! Cinéma se décline en plusieurs séances : La Colo, les séances spéciales, Panic Reverse… Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ces différentes programmations et leurs intentions ?

Depuis trois ans, Panic! Cinéma organise des séances mensuelles au Forum des images avec l’équipe de Chroma, sous le nom de Panic! X Chroma et chaque saison se clôture avec un festival de plusieurs jours, La Colo Panic! X Chroma, qui mélange films, rencontres, expos, jeux vidéo, jeux de société… La programmation est assez éclectique, on choisit de programmer les films qu’on aime, sans autre ligne éditoriale. Pour les séances Panic! Cinéma, historiquement, on est plutôt sur du cinéma de genre, d’horreur, mais aussi des avant-premières, des films méconnus ou cultes, avec si possible des invités pour apporter un éclairage. Peu importe le type de séances, l’intention est toujours la même : le partage des films qu’on aime avec le public. Panic! Reverse, ce sont des copains, mais c’est une asso différente donc je ne veux pas parler pour eux, même si j’ai aussi fait partie de l’asso pendant quelques années !

© Claire Vivet

Network, Dark City, Heathers… On a l’impression que votre programmation repose sur une ligne directrice invisible à fort caractère social, voire politique, qui infuse bon nombre de séries B ? Le cinéma bis ne serait-il pas le dernier espace ouvert à une vraie critique militante ?

Avec Panic! X Chroma, on a sûrement une ligne directrice un peu plus politique qu’avec Panic! Cinéma en solo. C’est sûrement dû à Karim qui répète très souvent que « tout est politique ». Mais oui, le cinéma bis et de genre est de toute façon politique et social par essence, dans la forme et/ou dans le fond, dans ses thèmes et dans son modèle de production. C’est un cinéma transgressif et qui s’affranchit de certains codes, et c’est ce qui nous plaît.

Quand on pense au nanar étymologiquement, on se réfère à une vieillerie sans valeur. Il me semble que l’équipe de Panic Cinéma cultive à loisir ce mauvais goût, cette recherche du bizarre. Cette intention nous rappelle celle des surréalistes antibourgeois et provocateurs. Au fond, vous ne seriez pas les derniers surréalistes ?

(Rires). Je ne sais pas, mais il y a tellement d’endroits où on peut voir du cinéma grand public et des blockbusters (qu’on aime aussi parfois, mais disons que ce n’est pas là qu’on a besoin de nous)… Donc on essaie de proposer autre chose avec nos séances. Des films peu ou pas vus en salles, avec un invité pour un éclairage, et d’amener au cinéma des personnes qui n’auraient sûrement jamais vu ce film autrement. Par exemple on a présenté [sg_popup id= »224826″ event= »inherit »]Possession[/sg_popup]de Zulawski devant une salle comble de personnes entre 20 et 30 ans en moyenne, c’est pas un truc qui arrive très souvent… Ou une carte blanche à Michel Hazanavicius qui présente [sg_popup id= »224827″ event= »inherit »]La Garçonnière[/sg_popup]de Billy Wilder, ou Eric Judor qui présente [sg_popup id= »224828″ event= »inherit »]Anchorman[/sg_popup] d’Adam McKay avec Will Ferrell, des films qui passent peu en salle. Et historiquement, Panic! a en effet le goût du bizarre, on aime bien sortir d’une vision du cinéma élitiste et proposer des séances décalées.

© Lilia Belakhdar

Quelle philosophie de la salle de cinéma cultive l’équipe de Panic! Cinéma ?

Je crois qu’on décide de vraiment se réapproprier la salle de cinéma. J’aime beaucoup aller au cinéma dans le silence absolu, mais ça fait parfois du bien de désacraliser la salle de cinéma. Je pense que du coup, certaines personnes peuvent ne pas apprécier ce qu’on fait, mais il y a quelque chose de cathartique à se retrouver dans une salle de cinéma pour se marrer ou crier certaines répliques de nanars ou de films cultes, le meilleur (ou pire) exemple étant les projections de The Room qui sont un joyeux bordel. Pour autant, notre public connait généralement les limites et sait se montrer respectueux des films plus sérieux.

 

© Lilia Belakhdar

A quoi faut-il s’attendre pour la saison prochaine ?

On termine la troisième et dernière saison des séances mensuelles Panic! X Chroma, qui va se conclure avec la troisième Colo Panic! X Chroma du 11 au 14 juillet, c’est une page qui se tourne. Cet été, Panic! Cinéma sera au Point Ephémère le lundi pour une demi-douzaine de séances de la mi-juillet à la fin août, et nous reviendrons à la rentrée pour une nouvelle saison en solo au Forum des images.

 

© Lilia Belakhdar

Deux ou trois choses que l’on sait d’elle

Quels films ont forgé votre cinéphilie ? A quelle génération de cinéphiles vous identifiez-vous ?

Je dois faire partie de la toute dernière génération qui a connu les vidéoclubs. Gamine, j’y allais avec mon père pour louer des dessins animés, mais mon premier vrai contact marquant avec le cinéma, c’est le ciné d’horreur et de genre. Quand j’étais ado, je faisais de la contre-bande de VHS de films d’horreur enregistrés à la télé par mes potes, que je regardais dans le dos de mes parents qui me l’interdisaient. Je lisais Mad Movies, je téléchargeais beaucoup (en 56k, fallait être motivée et attendre des jours et des jours pour avoir certains films) parce que c’était compliqué de voir des films dans ma campagne… Aujourd’hui, je fréquente pas mal de festivals et de séances spéciales.

Lloyd Kaufman a décidé de faire du cinéma après avoir pris du LSD. Et vous, comment êtes-vous « venue » au cinéma ?

A mon arrivée sur Paris il y a une dizaine d’années, j’ai découvert pas mal de séances et de festivals, dont Panic!, et c’est en venant en tant que public et blogueuse que j’ai rencontré mes « copains de ciné ». Et c’est comme ça que j’ai connu Yann Oléjarz, le fondateur de Panic !, qui m’a proposé de rejoindre l’équipe.

© DR

Quelle serait votre vidéothèque idéale ? Quelles rencontres de cinéma ont été particulièrement marquantes ?

Dans ma vidéothèque idéale, il y a en vrac et dans le désordre : la trilogie Evil Dead, Jurassic Park, Shining, Clerks, Shaun of the Dead, The Big Lebowski, Phantom of the Paradise, Gravity, Fury Road, Old Boy, et plus récemment, The Witch, Hérédité, Grave… Quentin Dupieux, Sam Raimi, Kevin Smith, Sorrentino, Jodorowski, De Palma, Edgar Wright, James Gunn, Carpenter, Kubrick, les frères Coen, Felix Van Groeningen, Cuaron, Del Toro, Fabrice du Welz, Sono Sion, Bong Joon-ho, Park Chan-wook, Peter Jackson, John Waters, David Robert Mitchell, Jeremy Saulnier, et j’en oublie… Du film d’horreur, les films des années 80-90 avec lesquels j’ai grandi, des comédies US, des comédies musicales, des films indépendants que je découvre en festival… Pas mal de séries aussi : Les Sopranos, Six Feet Under, The Office étant mon top 3 éternel…

Pour les rencontres, on a organisé de super séances avec Tobe Hooper pour les 40 ans de Massacre à la Tronçonneuse, Edgar Wright pour l’avant-première de Baby Driver, Michel Hazanavicius qui vient régulièrement présenter des séances avec nous, Eric Judor, Nicolas Boukhrief, Laurent Melki, Nicolas et Bruno, ou encore Steve de Jarnatt pour Miracle Mile, ou encore tout récemment Richard Kelly pour Donnie Darko.

Vous avez traduit le roman The Disaster Artist de Greg Sestero, qui suit l’histoire vraie de deux amis qui décident de faire un film comme dans un rêve. Pouvez-vous nous parler de cette expérience unique qui a mené par la suite au marathon The Room au Grand Rex ?

J’ai traduit The Disaster Artist avec mon co-traducteur Pierre Champleboux tout en travaillant à côté et en organisant les séances Panic!, donc ça a été deux mois assez chargés… Les séances de Best F(r)iends au Forum et de The Room au Grand Rex ont été incroyables. D’une part parce que le Rex, c’est la démesure totale ! Avec une capacité de presque 3 000 personnes, en termes d’organisation, c’est un travail titanesque. Et d’autre part, gérer un personnage comme Tommy Wiseau, c’est aussi du boulot ! C’était assez fou d’avoir passé tout notre temps libre à travailler sur la traduction et, quelques semaines plus tard, de passer quelques jours avec Tommy et Greg, d’avoir cette impression de déjà les connaître, tellement on avait passé des heures et des heures à se creuser la tête sur certaines problématiques de traduction, à commencer par la façon de traduire en français l’anglais cabossé de Tommy. On a pu constater que sur certains aspects, le roman de Greg Sestero est vraiment véridique et que Tommy Wiseau n’a pas changé. On a même vécu un dimanche assez surréaliste en partant en road trip à Moret-sur-Loing et Fontainebleau avec Tommy et Greg à l’arrière de ma Mini… C’était une belle façon de boucler la boucle et de terminer cette aventure The Room/The Disaster Artist.

 

© AFP/Getty Images

© FilmMagic

Vous avez rencontré Tommy Wiseau et Lloyd Kaufman. Qu’est-ce qui rapproche et différencie ces deux cinéastes ?

Hum je dirais… Rien du tout ? Tommy Wiseau a des rêves de grandeur et de célébrité, bien au-delà de ses rêves de faire du cinéma. Il a retourné sa veste avec le succès de The Room, en assumant et revendiquant le côté nanardesque du film, qui lui apporte malgré tout la célébrité qu’il désirait, mais pas de la façon qu’il avait imaginée. C’est un businessman avant tout… Concernant Lloyd Kaufman, c’est un passionné qui fait du cinéma indépendant en-dehors des circuits de production habituels, qui peut compter sur une fan-base hyper dévouée et qui ne change pas de ligne directrice. Même si tous les films de l’écurie Troma sont loin d’être parfaits, il y a une énergie communicative dans ces films et une vraie envie de faire du cinéma trash et drôle, coûte que coûte. D’ailleurs ils ont mis en ligne tout leur catalogue gratuitement il y a quelques années, donc on est loin du business plan d’un Tommy Wiseau. Et Lloyd et sa femme Pat sont des personnes adorables, toujours disponibles pour les fans, ils sont les public relation de Troma et vont de convention en séance avec l’équipe de Troma et un masque de Toxie, j’admire cette persévérance !

Qu’est-ce que vous répondez à Edouard Baer lorsqu’il affirme que « le cinéma, ce n’est pas manger des pizzas chez soi devant Netflix » ?

Ça me fait de la peine parce que j’aime beaucoup Edouard Baer (qui apparaît d’ailleurs dans un film Troma !), mais ça sonne vraiment comme une phrase de vieux… Quand le prix de la place de cinéma dans les multiplexes se rapproche dangereusement des 15 euros, il faut comprendre que ça devient un loisir élitiste, alors que Netflix et d’autres services légaux démocratisent l’accès au cinéma pour 10 euros par mois en moyenne. Aussi, tout le monde ne vit pas à Paris ! Si on a la chance incroyable d’avoir un des meilleurs taux de cinémas au kilomètre carré au monde, et de pouvoir voir en salle quasiment tous les films que l’on veut, c’est loin d’être le cas dans toute la France, et Netflix vient clairement combler un vide de l’offre culturelle dans de nombreux territoires. Et au-delà de l’aspect économique et géographique, on ne peut pas faire l’autruche plus longtemps…

© Guillaume Gaffiot / Bestimage

Netflix produit ou achète des films de réalisateurs importants maintenant, comme [sg_popup id= »224843″ event= »inherit »]Roma[/sg_popup]d’Alfonso Cuaron, ou [sg_popup id= »224844″ event= »inherit »]Okja[/sg_popup]de Bong Joon-ho. J’ai eu la chance de voir Roma en salle, et c’est vraiment dommage de ne le voir que sur sa télé, ou pire, sur son ordinateur, donc je crois qu’il y a une urgence à revoir la chronologie des médias en France et arrêter les guerres de clochers, parce qu’au final, c’est le public qui en pâtit.

Pour finir, je vais vous poser une question qui va peut-être vous sembler idiote. Vous venez d’hériter de 5 millions d’euros et le même jour des extra-terrestres arrivent pour faire exploser la planète. Qu’est-ce que vous faites ?

J’essaie de négocier avec les aliens en leur proposant mes 5 millions mais j’espère juste qu’ils ne réussiront pas à me convaincre car j’ai tendance à penser qu’on a un peu fait le tour de la question en tant qu’espèce, et je ne serais pas contre un petit reboot de l’humanité… (Rires) Quelle note d’espoir pour conclure !

* Propos recueillis par mail.

Fête du cinéma décalé et des films culte en tous genres, La Colo Panic! X Chroma est de retour pour une 3e édition en ce début d’été… qui sera chaud ! Les équipes de Panic! Cinéma, de Chroma et du Forum des images vous ont concocté une programmation sur mesure : une sélection de leurs films préférés, l’expo des affiches de Laurent Melki et de Joachim Roncin, des rencontres, une veillée horreur, des animations, des jeux vidéo, de la VR… Rendez-vous du 11 au 14 juillet pour un summer break inoubliable !