Des binocles seventies, une tignasse frisottée et le mal-être qui suinte par tous les pores, Napoleon Dynamite incarne à lui seul l’authentique adolescent loser modelé par John Hughes dans les années 80. Sorti en 2004, soit l’année où Mark Zuckerberg, la rage au ventre, épinglait ses camarades de Harvard sur un tableau numérique, la potacherie de Jared Hess sacre le triomphe de la moyenneté « nerdienne », pied de nez à l’excellence et la culture de la gagne made in America. Une victoire de haute lutte remportée main dans la main avec Jon Heder et sa tronche impayable d’éternel redneck aux abonnés absents. La quarantaine bien tapée, l’acteur passé depuis chez Quentin Dupieux (Réalité), raconte ses années Moon Boots.
Boris Szames : Comment avez-vous rencontré Jared Hess ?
Jon Heder : Jared et moi avons fréquenté la même fac dans l’Utah. Nous étions camarades de classe. J’ai passé le casting pour l’un de ses premiers films, Peluca, qu’il a réalisé dans le cadre de ses études. Le scénario n’était pas plus long que sept pages et le personnage principal ressemblait déjà beaucoup à Napoleon. J’avais très peu d’expérience à l’époque. J’avais joué tout au plus dans un ou deux films d’étudiant. Jared pensait que j’étais la bonne personne pour le premier rôle. On a beaucoup parlé du personnage, de son univers et on s’est rendus compte qu’on était sur la même longueur d’onde. Chacun savait ce que l’autre pensait. Un an ou deux plus tard, on tournait Napoleon Dynamite.
Vous connaissiez donc déjà Napoleon avant le tournage ?
Jared et moi venons du même milieu. Nous avons chacun des petits frères qui ont beaucoup nourri la création de Napoleon, le genre de mec toujours frustré et agacé qui a l’air de se plaindre en soufflant. J’ai croisé beaucoup de types gênants et maladroits comme lui quand j’étais au lycée. On s’est aussi beaucoup inspirés des frères Coen et de leurs personnages bizarres. Jared et moi adorons des films comme Arizona Junior, Fargo et Le Grand Saut. Le slapstick est une autre grande source d’inspiration pour moi. Des acteurs comme Buster Keaton, Charlie Chaplin et Jim Carrey ont su utiliser leur corps pour raconter une histoire et produire de la comédie.
D’où vient le nom de Napoleon Dynamite ?
Jared se souvenait d’un Italien qui s’était présenté à lui sous le nom de Napoleon Dynamite à Chicago. C’était le truc le plus cool qu’il avait entendu à l’époque. Il l’avait écrit dans un petit carnet, en se disant qu’il en ferait le titre d’un de ses films. On a appris plus tard qu’Elvis Costello s’était servi de ce pseudonyme dans les années 80. Le mec de Chicago devait être un de ses fans.
Comment lui avez-vous ensuite donné vie ?
On a d’abord beaucoup parlé de notre vision du personnage avec Jared. Il l’interprétait à sa manière, un adolescent bigger than life. C’était très drôle. Ensuite, nous sommes allés dans une friperie pour trouver ses vêtements. En tombant sur un t-shirt avec un dragon et des Moon Boots, on s’est dit : « C’est tellement le genre de truc qu’il porterait ! ». Le personnage a pris vie à mesure qu’on lui créait sa garde-robe, qu’on trouvait sa démarche, son regard vitreux, etc. Tout s’est mis en place presque naturellement. La femme de Jared [Jerusha Hess, ndlr] qui a co-scénarisé le film, a apporté la touche finale avec la permanente. A partir du moment où je me suis vu dans un miroir avec les cheveux frisés, je me suis dit : « C’est bon, je le tiens ».
Vous aviez le sentiment d’interpréter une sorte d’adolescent moyen en vous glissant dans sa peau ?
Napoleon représente plutôt le type un peu bizarre du lycée. A l’époque, on n’avait encore jamais vu ce genre de personnage dans un film. Ou du moins, le cinéma ne lui avait pas encore accordé tout son attention, alors qu’il a toujours existé. Il y avait eu auparavant quelques tentatives de montrer les nerds, comme dans Les Tronches. C’était toujours un binoclard très bavard et intelligent, mais pas vraiment doué, qui vivait dans son propre monde. C’est pour ça qu’il n’avait jamais le rôle principal. Pourtant, on peut lui reconnaître une certaine dose de génie. Ce n’est pas le plus idiot de la classe, ni le plus brilliant, mais il se débrouille comme il peut à l’école. Il souffre surtout d’un handicap social. Des années après la sortie du film, des parents m’ont confié s’être retrouvés en Napoleon ou lui avoir trouvé des points communs avec leurs enfants Asperger. J’ai fini par me rendre compte qu’il était peut-être lui aussi autiste sans le savoir.
Napoleon révèle un certain talent pour la danse. C’est une de vos bottes secrètes également ?
J’adorais danser, et j’aime encore ça. C’est plus un truc qui me plaît qu’un véritable hobby. Je dansais parfois pour mes amis. Je mettais de la musique et c’était parti. Et comme on avait des amis en commun avec Jared, c’est arrivé très vite à ses oreilles : « Jon, j”ai appris que tu aimais danser, et que tu faisais ça très bien. On va mettre ça dans le film. Ça sera le climax ». Je lui ai demandé s’il fallait embaucher un chorégraphe ou préparer une routine. Jared m’a laissé libre de faire ce que je voulais. J’ai improvisé sur trois chansons différentes, sans savoir pour laquelle on aurait les droits. C’était amusant, mais épuisant !



« NAPOLEON EST UN FILM TRÈS AUTOBIOGRAPHIQUE »
Où a été tourné Napoleon ?
On a entièrement tourné le film à Preston, dans le sud de l’Idaho, où Jared Hess a grandi. Napoleon Dynamite est en quelque sorte un film très autobiographique. Jared a fréquenté le même lycée que Napoleon ; ses frères ont travaillé dans le même élevage de poulets, etc. Certains personnages sont inspirés – voire interprétés par – de vraies personnes du cru : le fermier qui parle de manière incomprehensible, la brute qui harcèle Napoleon…
L’ambiance en plateau devait être à la franche rigolade…
Il n’y a pas eu de scène particulièrement dure à tourner, même quand j’ingurgite ce drôle de jus d’orange avec des jaunes d’oeuf. On tournait trois prises, puis on enchaînait. Il y avait beaucoup de fous rires. On était les premiers fans du film. Il n’y avait aucun studio, ni distributeur sur notre dos. Ce n’était pas une comédie traditionnelle, on ne savait pas si tout ça allait fonctionner. Si on n’accroche pas à la première scène où Napoleon jette une figurine par la fenêtre du bus, c’est fichu ! Le reste du film a juste l’air un peu bizarre.
La scène de démonstration de Rex Kwon Do est un sommet de comédie dans son genre.
C’est ma séquence préférée ! Kip (Aaron Ruell) emmène Napoelon dans un dojo du coin où un type barraqué du nom de Rex (Diedrich Bader) donne des cours d’auto-défense. Aaron a vraiment fini par avoir à mal à force de recevoir des coups. C’était très drôle ! Je ne peux pas m’empêcher de rire quand je revois cette scène où ce petit bonhomme se mesure à une grande baraque.
A quoi rêviez-vous avant d’incarner Napoleon ?
J’étudiais le cinéma d’animation. Ça me plaisait beaucoup. Si je n’avais pas tourné Napeon Dynamite, j’aurais sûrement travaillé dans ce domaine. Je rêvais de travailler chez Pixar. On m’a d’ailleurs invité à venir visiter le studio après la sortie de Napoleon Dynamite. Le film avait eu beaucoup de succès chez eux. Pour moi, l’animation en 3D est une manière de pratiquer l’acting. Ce sont deux activités très similaires. Mes connaissances en animation m’ont beaucoup aidé en tant qu’acteur. Et inversement, je me sers de mon expérience d’acteur quand je dessine.
Quand avez-vous commencé à comprendre que le film était promis au succès ?
Lors de la projection à Sundance. Tout l’équipe était là. C’était superbe. Ce moment-là a changé nos vies. On est venu avec ce petit film que personne ne connaissait. Personne ne savait qui nous étions. Et puis, les gens dans la salle se sont mis à rire. Ils sont devenus complètement fous. Quand le film est sorti, les spectateurs revenaient encore et encore. Ils ne s’en lassaient pas. J’avais l’impression d’être sur un nuage. La projection à Preston a été plus compliquée. Il n’y a pas eu un bruit dans la salle pendant le film. On n’a eu droit qu’à des sourires. Les gens du coin nous ont dit qu’on avait simplement filmé leur ville.
Quel héritage a légué Napoleon Dynamite au cinéma américain selon vous ?
Je pense qu’il a aidé à ouvrir la voie à tous ces films geek chic. Les nerds ont pris leur revanche grâce à Napoleon. Ils sont enfin sortis de l’ombre pour devenir cool. C’est ce qui a beaucoup plu aux gens à l’époque. Pourtant les costumes et les décors donnent l’impression que le film a été tourné dans les années 80-90, voire 70. Les gamins des villes de province se gavent de la pop culture de ces décennies-là. C’est pour ça que le film n’a pas pris une ride. De nouvelles générations d’ados s’identifient à Napoleon parce que c’est un outsider qui croit être inadapté alors qu’il est à sa place en réalité. Il apprend à ne pas se soucier de ce qu’on pense de lui quand il vient en aide à son ami Pedro. Peu importe s’il se ridiculise en dansant devant tous les élèves de son lycée. Il s’investit à fond et on finit par l’aimer pour ça. Tout le monde peut s’identifier à cette sincérité-là.
C’est donc pour ça qu’il faut voter Pedro ?
Aucun autre candidat n’est à son niveau. Pedro est un incorruptible. Si tout le monde dit vouloir voter pour lui, c’est parce qu’il a un idéal simple : rendre les gens heureux et les aider. Pedro apporterait un vent de fraîcheur aux élections présidentielles.