Sœurs d’armes, première œuvre de fiction puissante et intimiste réalisée par la journaliste Caroline Fourest, propose une plongée au cœur de la guerre en Syrie, aux côtés des combattantes kurdes. On retrouve au casting du film une pléiade de talents parmi lesquels Mathieu Lamboley, compositeur français à succès, qui se charge de traduire au mieux les émotions et les blessures de ces guerrières combattantes pour la justice et la paix.
Pianiste, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, Mathieu Lamboley fait partie de la talentueuse nouvelle génération de compositeurs de musique de film française qui s’est fait connaître du grand public avec le film de Benjamin Guedj, Libre et assoupi en 2014. La quinzaine de bandes originales à son actif (dont le superbe score de Minuscule : Les Mandibules du Bout du Monde de Hélène Giraud et Thomas Szabo nommé aux World Soundtrack Awards en 2019) révèle des collaborations fructueuses avec des réalisateurs populaires, comme Laurent Tirard ou encore Julie Delpy. Avec Sœurs d’armes de Caroline Fourest, Mathieu Lamboley, habitué au genre de la comédie, se confronte pour la première fois au film de guerre. C’est l’occasion pour Gone Hollywood de recueillir ses réactions à chaud, d’échanger avec lui sur son expérience dans ce projet très attendu mais aussi de revenir un temps sur son parcours exemplaire. C’est avec un réel plaisir que Christopher Poulain vous propose de découvrir ce compositeur généreux aux styles variés et aux compositions savoureuses. *
SŒURS D’ARMES
Christopher Poulain : Comment avez-vous été amené à travailler sur Sœurs d’armes?
Mathieu Lamboley : Audrey Simonaud, la monteuse du film, et Isabelle Desgeorges, directrice de Gaumont Télévision, ont toutes les deux parlé de moi à Caroline Fourest la réalisatrice du film. Il fallait donc bien que je finisse par la rencontrer ! Caroline m’a montré Sœurs d’armes, alors en plein montage. Les images étaient vraiment magnifiques, notamment grâce à des plans filmés au drone qui m’ont beaucoup inspiré pour composer le thème principal, assez rapidement d’ailleurs. Caroline m’a juste indiqué qu’elle voulait une musique qui prenne aux tripes. J’ai commencé par utiliser des sonorités arabisantes et orientales, en évitant de faire dans le cliché. Pour contourner cet obstacle, il m’a fallu recourir à un violoncelle et à des percussions. Mon amie Catherine Trottman, une chanteuse lyrique qu’on entend déjà dans la bande originale du film Le Retour du héros, a chanté le thème principal. C’était un bon point de départ pour composer ensuite plus de 40 minutes de musique de film, dont deux chansons. Je suis assez fier de pouvoir dire que c’est mon premier film de guerre.
Comment s’est passée votre collaboration avec Caroline Fourest ? Quelle a été votre méthode de travail sur Sœurs d’armes ?
Caroline Fourest a une énergie incroyable, à l’image de son film. Quand elle veut quelque chose, elle sait être convaincante tout en restant sympathique. Si elle est persuadée par une idée, elle va la défendre coûte que coûte. C’était son premier film. Elle était ravie de découvrir la composition de la musique spécialement pour l’image. Ses yeux brillaient pendant l’enregistrement. Le mixage a pris ensuite pas mal de temps. C’était vraiment super de travailler avec quelqu’un comme Caroline qui ressent bien les choses. J’ai également beaucoup travaillé avec Audrey qui m’envoyait les séquences. Caroline passait ensuite au studio pour les valider. Tout ça a été relativement rapide finalement. On a travaillé la musique pendant deux-trois mois tout au plus.
Quelles difficultés spécifiques au genre du film de guerre avez-vous rencontré ?
J’étais plutôt libre dans mon travail sur Sœurs d’armes, surtout parce qu’il n’y avait pas de montage son au préalable. Pour Minuscule 2 au contraire, il y avait un peu plus de contraintes car les effets sonores se mélangeaient avec la musique. La question pourrait se poser sur un film de guerre, notamment avec les explosions et les balles qui fusent. Sœurs d’armes reste quand même assez intimiste. Je dois aussi reconnaître avoir pris un certain plaisir à composer « à l’américaine » pour la scène d’explosion avec des grosses percussions. On peut dire que moi aussi j’ai sorti « l’artillerie lourde » !

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LES OREILLES N’ONT PAS DE PAUPIERES
Comment êtes-vous venu à la musique de film ?
Je n’étais pas prédestiné à écrire des musiques pour le cinéma. J’ai toujours composé pendant mes études au Conservatoire et même avant. Ce que j’aimais, c’était d’avoir un support, une motivation, une histoire sur laquelle je pouvais m’appuyer. Au début, j’écrivais d’ailleurs pas mal de musique pour le théâtre. Pendant mes études au Conservatoire, j’ai trouvé l’annonce d’un étudiant des Arts Déco qui cherchait un compositeur pour un film. Il s’appelait Étienne Chaillou. Ma collaboration avec lui s’est révélée tout de suite fructueuse et enrichissante sur son premier film, Les oreilles n’ont pas de paupières, qui parlait de la musique jouée pendant la Seconde Guerre Mondiale dans les camps de concentration. Il mettait en perspective la musique et l’image. Et comme c’était un film d’animation, j’ai composé sur un storyboard. Ça m’a beaucoup plu et, par conséquent, donné envie de poursuivre dans cette voie-là.
Quelles ont été vos références ?
Il y en a beaucoup. Pour un film historique comme Les oreilles n’ont pas de paupières, il fallait une certaine cohérence. Je me suis principalement orienté vers les valses viennoises pour souligner cette aspiration très romantique. Je suis également allé puiser parmi mes propres références qui sont essentiellement classiques (Ravel et Debussy notamment), mais aussi contemporaines (Thierry Escaich). Je ne tiens pas particulièrement à m’inspirer des compositeurs de musiques de films dont je connais bien les œuvres, mais plutôt des grands noms du répertoire classique. C’est mon bagage car je les ai étudiés au Conservatoire.
Quels films ont motivé votre envie de composer pour l’image ?
Évidemment, le travail de John Williams sur Star Wars. Il y a aussi l’utilisation que Kubrick fait de la musique sur ses films, notamment avec celle de György Ligeti. Ce que je trouve passionnant dans la musique de film, c’est surtout de se mettre au service d’une histoire et de s’adapter pour ainsi savoir doser son langage musical par rapport à l’image. Certes, ça nous amène quelques contraintes mais elles nous sont nécessaires pour créer, pour chercher plus loin dans un cadre donné. C’est passionnant.
Vous avez travaillé avec des réalisateurs populaires comme Laurent Tirard, Julie Delpy, mais aussi avec le regretté Pascal Chaumeil. Comment passez-vous d’un genre à l’autre ? Le processus de composition est-il à chaque fois le même ?
Le processus d’écriture pour une comédie ou un drame reste le même. On doit se mettre dans la peau du réalisateur, travailler avec lui, ressentir tout ce qu’il a pu exprimer dans son film et le traduire en notes. Effectivement, quand nous sommes dans l’univers d’une comédie, il y a un langage musical, que cela soit dans l’harmonie ou dans l’orchestration. De même, pour le drame. Il y a des enchaînements harmoniques, des codes que le public connaît bien. La difficulté reste de ne pas rentrer dans des systématismes stylistiques. J’essaie pour ma part de renouveler le genre en prenant des virages, même si on a tous des références de style. Par exemple sur le film, Le Retour du héros, Laurent Tirard voulait qu’on aille dans des couleurs « western ».

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Évidemment, il avait des références comme Ennio Morricone. Mon idée, c’était de mélanger ça avec du baroque. Romain Cogitore (Nos résistances), lui, à l’inverse, apprécie beaucoup la musique néo-classique qui est très tonale. J’ai donc contrebalancé cette exigence brute en y ajoutant des sons électroniques. C’est ce que j’appelle une vraie collaboration avec le réalisateur. Hans Zimmer et Michel Legrand m’ont appris que l’important quand on écrit une musique de film, c’est d’en trouver la couleur pour dégager une idée forte, et donc un thème. Ça permet de faire face au réalisateur avec sa propre idée artistique et non d’être un simple exécutant.
Quelle est la bande originale dont vous êtes le plus fier ?
Je suis en général assez satisfait de mon travail sur un projet, une fois que je pense avoir atteint mes exigences. Certes, avec le recul, on se dit qu’on aurait souhaité faire certaines choses autrement, mais globalement j’en suis content. Pour Le Retour du héros, j’ai particulièrement apprécié d’avoir des moyens de production plus conséquents pour écrire. Le virage décalé, entre western et baroque, m’a aussi bien amusé. Libre et assoupi est ma réelle première grande expérience au cinéma. Nous avions un orchestre avec 90 musiciens, enregistré à Abbey Road. Les conditions étaient formidables. Minuscule 2, plus récemment, a été un agréable retour aux sources puisque j’ai commencé ma carrière en travaillant sur un dessin-animé en format court. C’était un vrai challenge cette fois-ci parce qu’il n’y avait aucun dialogue. Mon travail a consisté à écrire une partition narrative. Quelle chance incroyable pour un compositeur !
Sur quels genres de films aimeriez-vous travailler par la suite ?
J’ai commencé au cinéma en composant essentiellement pour des comédies, ce qui peut malheureusement permettre à certains de me coller une étiquette assez facilement. Mais depuis un an, on me propose des choses différentes comme avec Minuscule 2 ou Un Autre Continent. J’ai envie de poursuivre dans cette direction. Et pourquoi pas aux côtés de Guillaume Nicloux ou de François Ozon que j’aime beaucoup ?

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NUITS BLANCHES
Pouvez-vous nous parler du groupe Nuits Blanches dont vous êtes membre ? Vous êtes à l’initiative de ce groupe et vous avez pu écrire des titres dans Libre et assoupi ou Toute première fois par exemple.
J’adore composer du classique, mais également dans d’autres styles comme de la pop et du jazz, notamment grâce aux influences musicales dans mon entourage. Mon père et son frère jouent tous les deux du jazz, l’un comme guitariste, l’autre comme batteur. J’étais donc en lien avec Lise [Meyer] qui est une chanteuseet parolière. On s’entendait très bien. Travailler avec elle sur l’écriture de chansons m’aparu très naturel. On a donc lancé le groupe Nuits Blanches. Ça reste quand même difficile de concilier tous ces projets en même temps. Mais dès qu’on me demande d’écrire une chanson, je n’hésite pas une seconde avant de proposer à Lise de la composer avec moi. Elle écrit et elle chante divinement bien. Écrire une comédie musicale me plairait beaucoup si j’en avais l’opportunité.
Quels sont vos prochains projets ?
Je viens de finir la musique du prochain film d’Emmanuel Carrère avec Juliette Binoche. C’est l’adaptation d’un roman de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, un film social passionnant sur les conditions des femmes de ménage sur les ferrys. Je retrouve ensuite Laurent Tirard sur sa nouvelle comédie, Le discours, adaptée d’un roman très « décalé » de Fabcaro. La musique sera même intégrée dans l’histoire. C’est pour ça qu’on me verra jouer du piano à l’écran. Et c’est tout pour le moment… Officiellement.
* Propos recueillis à Paris, le 18 septembre 2019.
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