Gérard Oury, l’as des as – Entretien avec Jean-Pierre Lavoignat

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Gérard Oury était un homme qui croquait la vie à pleines dents, avec amour certes, mais surtout avec beaucoup d’humour, en compagnie de sa famille, de ses amis, de ses collègues sans oublier son public. Le cinéaste exerçait avant tout un métier avec passion, un art qu’il n’a eu de cesse de peaufiner tout au long d’une prolifique carrière. 

Au cinéma, le rire c’est d’abord de l’imagination, et ensuite, beaucoup, beaucoup de travail.
Gérard Oury

GÉRARD OURY, L’AS DES AS

Danièle Thompson, fille de Gérard Oury, l’un des plus célèbres réalisateurs français à qui l’on doit La Grande Vadrouille et Le Corniaud, raconte sa vie aux côtés de son père, une histoire pleine de rebondissements, d’aventures, toujours teintée d’un charme romanesque dans le livre Gérard Oury. Mon père, l’as des as disponible aux Éditions de La Martinière. Le lecteur pourra y découvrir des moments de grâce vécus auprès de son père, elle qui fut scénariste sur pas moins de onze longs-métrages du réalisateur. Danièle Thompson évoque également des secrets de famille qui ont hanté Gérard Oury, un masque mélancolique bien loin de la légèreté apparente. A l’occasion de la publication du livre au mois de mai dernier, Christopher Poulain a rencontré son co-auteur, Jean-Pierre Lavoignat, journaliste, fondateur de Studio Magazine, auteur et réalisateur de documentaires. *

Christopher Poulain : Comment avez-vous découvert Gérard Oury, ou du moins son cinéma ?

Jean-Pierre Lavoignat : Je l’ai rencontré sans avoir jamais participé à l’un de ses tournages. En fait, je ne l’ai pas vraiment interviewé. Je me souviens que c’était pour Première, donc avant 1987. J’avais fait un voyage pour Unifrance un peu étrange dans le cadre d’un festival de cinéma à Bombay, en tant que rédacteur en chef de Première. On était deux ou trois journalistes du magazine, pas plus. Les invités étaient Gérard Oury et Miou-Miou qui nous a rejoint en cours de route. J’ai donc passé une semaine avec eux. C’est là que je l’ai vraiment découvert. Forcément, adolescent, j’avais vu La Grande Vadrouille, Le Corniaud, La Folie des grandeurs et Les Aventures de Rabbi Jacob que j’avais beaucoup aimé. A Bombay, on n’avait pas grand-chose à faire, sauf présenter les films le soir bien sûr. J’ai donc passé mes journées avec lui. C’était un conteur magnifique, drôle et élégant. Il me racontait tout depuis ses débuts dans le cinéma. Il me parlait beaucoup des rencontres qui ont marqué sa vie. 

© Christopher Poulain
Je prenais beaucoup de plaisir à l’écouter. En fait, je ne cessais de lui poser des questions. Donc on a vraiment passé une semaine agréable. Et puis, par la suite, on s’est recroisé. Et en 2002, Christopher Thompson qui est le fils de Danièle Thompson, et petit-fils de Gérard Oury, m’a proposé de faire un documentaire avec lui. C’était un poil trop tard car il ne voyait presque plus, ses souvenirs étaient moins précis. Mais quand même, c’était très touchant parce qu’il se prêtait au jeu magnifiquement bien et je me suis aperçu que Christopher suivait à peu près le même parcours que lui, c’est-à-dire qu’il a commencé à être acteur puis scénariste. A l’époque, il pensait passer à la mise en scène, ce qu’il a fait un peu plus tard. C’était mignon parce que je me suis aperçu qu’il se servait de moi. Il me faisait poser des questions que lui n’osait pas lui poser directement. C’était un très beau moment. On a dû tourner ça pendant une dizaine de jours. On allait tous les matins chez lui à Montmartre. C’était un portrait assez touchant car il ne voulait pas dire qu’il ne voyait plus. Un grand homme très drôle, donc, que j’ai eu la chance de connaître de son vivant. 
© Les Films Pomereu
© Leo Weisse

Quel film de Gérard Oury préférez-vous ?

J’aime beaucoup de films de Gérard Oury. C’est difficile à dire entre La Grande Vadrouille et La Folie des grandeurs. Mais j’aime beaucoup La Folie des grandeurs. Il y a une élégance dans les décors, les costumes et puis j’adore l’idée de s’inspirer d’une pièce de Victor Hugo, Ruy Blas, qui a profondément marqué mon adolescence par ailleurs. Transformer une pièce romantique en comédie c’est assez fort, non ? Yves Montand est magnifique et le rapport Montand/de Funès est presque plus inattendu que le tandem de Funès/Bourvil qui se complétaient très bien certes, mais Montand rajoute un vrai plus.

Est-ce Danièle Thompson qui a pris directement contact avec vous pour l’épauler dans ce projet « intime » consacré à son père ?

Oui et non. Rendons à César ce qui appartient à César. L’idée du livre revient à Isabelle Dartois, éditrice des Éditions de La Martinière qui a réalisé que Gérard Oury aurait eu 100 ans en avril. Elle propose donc à Danièle un livre sur son père. Cette dernière lui répond qu’elle n’a pas forcément le temps même si c’est une bonne idée et qu’elle est en pleine écriture sur les jeunes années de Brigitte Bardot. Isabelle Dartois lui demande alors avec qui elle envisagerait de se lancer dans l’aventure. Danièle se révèle assez réceptive à l’idée jusqu’à ce que mon nom intervienne dans la conversation. « Si c’est Jean-Pierre, c’est oui. S’il accepte, je le fais, sinon je ne le fais pas ». J’ai donc dit oui aussitôt. 

Combien de temps le projet a-t-il mis pour aboutir ? Quelles ont été les différentes étapes de votre travail ?

Nous avons discuté avec Danièle Thompson pendant une quinzaine de jours environ, deux heures tous les matins. On a choisi les documents ensemble ainsi que les archives dont elle disposait chez elle. Par conséquent, j’ai participé aux différents choix. J’ai pris son point de vue et celui de son père, puis j’ai commencé à faire un premier jet. On a discuté de la structure ensemble. On faisait des allers-retours, des corrections, des rajouts. Je la faisais relire à chaque étape de l’écriture et j’attendais ses retours. Le plus délicat, je pense, a été le premier texte qui parle de ses rapports intimes avec son père. C’est ce qui m’a pris le plus de temps à écrire. Je le lui ai fait lire. J’avais un peu peur. Elle m’a rappelé en me disant que c’était bien. La rédaction a dû bien prendre deux bons mois.

Danièle Thompson vous a-t-elle laissé une liberté dans la conception et le style de l’ouvrage ?

Oui, elle m’a laissé une certaine liberté. Il s’agissait surtout de retranscrire ce qu’elle m’avait dit pour être le plus juste possible. Je lui avais proposé de faire un encadré sur sa mère. J’avais peu d’éléments. Au final, elle s’est prêtée au jeu et elle a écrit pratiquement la moitié du texte. Et c’était magnifique.

J’ai vu plusieurs fois La Grande Vadrouille, gamin, au cinéma. Je l’adorais. C’est l’un des films les plus drôles que j’ai vus à l’époque mais c’est aussi un beau film d’aventure, très excitant.

Alfonso Cuarón

DE PRÉCIEUSES COLLABORATIONS

Qui a eu l’idée des interventions de divers artistes ?

On en a parlé ensemble mais c’est moi qui lui ai proposé car l’éditeur voulait des témoignages. On a demandé bien entendu à des gens qui ont participé au travail de Gérard Oury comme Belmondo qui a gentiment accepté. Je l’ai proposé à Valérie Lemercier suite à sa prestation en Rabbi Jacob aux Césars. Danièle, avec qui elle avait travaillé dans Fauteuils d’orchestre, a tout de suite adhéré. Pour Arnaud Desplechin, je l’ai proposé car j’avais lu une interview de lui dans laquelle il s’exprimait sur le sujet : « Je n’aime pas les films de Belmondo en général. Par contre, j’ai une petite tendresse pour L’As des As et j’ai une tendresse pour Gérard Oury ». J’ai sauté sur l’occasion. C’est à la fois chic et inattendu. Je l’ai appelé et il a dit oui. Ce qu’il dit est magnifique, le plus beau texte que j’ai lu sur Gérard Oury.

Qu’est-ce qui vous a semblé le plus difficile ?

C’est d’écrire (rires). Les interviews, c’est facile à faire. C’est un très beau moment. C’est un moment de partage. Il y a même un moment très émouvant où forcément on a abordé les dernières années de Gérard Oury et sa mort. C’était beau. Elle est… Comment dire… Toujours agréable, bienveillante, mais là en deux secondes, sa voix a changé, les yeux larmoyants. J’étais sensiblement touché. La difficulté c’est d’écrire, de faire le tri. Et plus je vieillis, plus je deviens lent (rires).

Qui a décidé de la mise en page et de la couverture ?

Essentiellement les Éditions de La Martinière, le directeur artistique, un ancien de chez Studio, que je connais bien. On a fait beaucoup d’essais. Il y avait à la fois la volonté de Danièle et à la fois le désir des commerciaux qui voulaient que le livre parle aux gens estimant que les films sont plus connus que Gérard Oury.

Avez-vous de nos nouveaux projets littéraires en cours ?

Non… Oui et non… Je suis superstitieux. Je ne dis rien. (rires)

* Propos recueillis à Paris, le 5 juin 2019.

Copyright photo de couverture : DR.

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