Avec Top Gun : Maverick, Tom Cruise transforme son film culte des années 80, qui a fait de lui une star, en une nouvelle franchise dans sa carrière. Décryptons la manière dont Tom Cruise a cultivé son aura médiatique en devenant l’auteur de sa propre franchise.
Observer les choix artistiques et l’image médiatique de Tom Cruise a toujours été un jeu amusant, tant ils se répondent avec transparence. Besoin de salir l’image parfaite de Top Gun ? Né un 4 juillet ! Besoin de rendre à nouveau un studio sur le déclin prestigieux ? Lions et Agneaux ! Besoin de redorer son image après plusieurs échecs artistiques ? Mission impossible : Protocole Fantôme ! Loin d’avoir fait un sans-faute, aussi bien dans la presse people que dans les salles de cinéma, l’acteur/cascadeur/producteur s’est construit un imposant parcours professionnel, entre moments de gloire et remises en question. Approchant de ses 60 ans, Tom Cruise a réussi, pour l’instant, l’exploit de ne pas devenir une caricature de ses succès d’antan, comme c’est le cas pour de nombreux acteurs vieillissants (Liam Nielson, Jackie Chan…). Ses productions parviennent encore à attirer la sympathie du public, comme nous avons pu le remarquer en 2018 avec Mission Impossible : Fallout et ses 790 millions de dollars au box-office, soit le film le plus lucratif de la saga débutée en 1996. Il demeure une des dernières personnalités du star system hollywoodien classique à encore enivrer les spectateurs. Dans un contexte où plus aucune célébrité n’attire facilement d’énormes foules devant le grand écran à l’unique évocation de son nom, Tom Cruise y parvient encore. Plus séduisant que les franchises interchangeables qu’il porte avec lui (Jack Reacher, Mission Impossible, Top Gun), la célébrité prouve qu’elle continue à être le premier argument de vente de ses créations. Ce n’est pas la franchise qui fait l’homme, mais bien l’homme qui fait la franchise.
RISKY BUSINESS
Afin de comprendre comment Tom Cruise est devenu une importante icône hollywoodienne, il est nécessaire de rappeler quelques faits notables de sa carrière. L’acteur a très vite eu des succès prometteurs avec Risky Business et Top Gun, lui permettant de devenir très vite une star des années 80, après un début oscillant entre succès discret (Outsiders) et franc ratage (American Teenagers). L’adolescent a été remis sur le droit chemin à l’époque par sa nouvelle agente : Paula Wagner, avec qui il fondera la société Cruise/Wagner Productions. De plus, son image de premier de la classe demeurait assez nuancée, que ce soit avec une touche d’opportunisme chez Paul Brickman ou d’irrespect chez Tony Scott. Cette image positive mais ambiguë deviendra alors la marque de fabrique du jeune prodige glamour (avant de s’orienter vers le fou bienveillant qui n’a pas encore sombré totalement pour la suite de sa carrière).
Après avoir médiatisé son nom, l’acteur a travaillé à s’offrir une reconnaissance artistique en tournant avec des réalisateurs américains aussi prestigieux que Martin Scorsese (La couleur de l’argent), Oliver Stone (Né un 4 juillet), Sydney Pollack (La Firme), et enfin Stanley Kubrick (Eyes Wide Shut). Conscient de sa célébrité envahissante, Tom Cruise va s’entourer de cinéastes plus « malléables » (Edward Zwick, Bryan Singer, Doug Liman) afin de s’assurer la mainmise sur sa filmographie. Une nouvelle facette de sa personnalité apparaît alors : Tom le décisionnaire. Ne se contentant plus de se mettre au service d’une vision dont il n’est pas l’auteur, l’acteur va, à l’aube du nouveau siècle qui se profile, mettre en place des directives plus managériales : fondation de sa propre société de production, volonté de reprendre une des plus grandes majors hollywoodiennes, présence de plus en plus forte sur la franchise Mission Impossible. Néanmoins, le début des années 2000 est une période où l’acteur cherche encore à tourner avec de grands noms du cinéma (Robert Redford, Michael Mann, Steven Spielberg). Un choix difficile avec sa volonté de ne plus salir son image parfaite, au risque de malmener la promotion d’un film (cf. l’affaire de la Scientologie lors du marketing de La Guerre des Mondes). Cruise se rêve en metteur en scène de sa propre carrière, bien qu’il ne soit toujours pas mis en scène par lui-même dans son propre film.
Cette époque de risques est révolue. Cependant, les productions sortant de l’écurie de l’acteur sont loin de n’avoir aucune volonté artistique. Si la star n’est plus accompagnée par la vision d’un réalisateur remarqué, c’est avant tout parce qu’elle possède maintenant cette vision grâce à son long parcours professionnel. Loin de s’être désintéressé du cinéma, l’interprète d’Ethan Hunt continue de courir après l’art de l’image animée. Il propose de la nouveauté, mais dans un cadre bien défini par lui-même au fur et à mesure de son expérience. Comme une sorte de showrunner de sa propre carrière, c’est toute une logique de série télévisée qui régit le monde de Tom Cruise depuis quelques années. Les réalisateurs de ses productions ne sont pas juste des « yes men » mais des metteurs en scène tributaires d’un cahier des charges imposé, comme pour une création télévisuelle. Le choix de mettre J. J. Abrams (connu à l’époque surtout pour Alias et Felicity) à la direction du troisième opus de Mission Impossible ne déroge pas à cette règle sérielle. Grand cinéphile, Tom Cruise construit désormais sa filmographie avec sa propre équipe, velléité plutôt rare chez les acteurs hollywoodiens bankables. S’accompagnant de bons faiseurs, il reste la pierre angulaire de ses projets, sans toutefois oublier la nature de l’art qui lui offert la célébrité, souvent parle biais de grandes performances.


LEGEND
Dans l’économie contemporaine du blockbuster hollywoodien, une tête d’affiche n’est plus un argument marketing suffisant pour promouvoir un film. Il faut maintenant une véritable troupe afin de susciter un intérêt chez les spectateurs. Le star system a de moins en moins de valeur, il faut l’additionner afin qu’il perdure. Tom Cruise, lui, n’a pas besoin de s’adjoindre les services d’autres célébrités pour soutenir un projet cinématographique. Si nous pouvons regretter que l’acteur accapare l’entière attention, dès la sortie de l’un de ses films, c’est parce qu’il assure à lui tout seul le spectacle. Une critique facile revient souvent afin d’interroger ses talents de comédien : Tom Cruise n’est pas un acteur, mais un cascadeur. Cet argument est souvent utilisé pour justifier que la célébrité n’a jamais, durant toute sa carrière, obtenu la récompense cinématographique ultime que représente l’Oscar. Toutefois, c’est oublier les nombreux longs-métrages sans aucune cascade : Eyes Wide Shut, Collatéral de Michael Mann ou Magnolia de Paul Thomas Anderson. En acceptant un rôle, l’acteur ne souhaite rien d’autre que de délivrer une performance. De superproduction en superproduction, le comédien donne la désagréable impression de pratiquer son art uniquement par la cascade. Plus que ces acrobaties, Cruise recherche à accomplir des prouesses depuis les premières heures de sa carrière, sans se reposer toujours sur sa physicalité.
En plus de savoir jongler, boxer, conduire de nombreux véhicules de locomotion (moto, voiture de course, avion), grimper des falaises et courir super vite, le performeur a démontré sa capacité de jouer avec de nombreuses prothèses faciales, se déplacer en fauteuil roulant pendant des semaines et s’enfermer pendant deux ans avec sa compagne sur un tournage. Cette constante propension aux actes de bravoure assure la cohérence de sa filmographie, tout genre confondu. Une uniformité nécessaire dans le cadre de la franchise Tom Cruise. Cette exigence envers soi-même est devenue sa marque de fabrique, utilisée dans la communication de ses projets, en plus de jouer sur sa forte personnalité (n’oublions pas le buzz médiatique autour de sa crise lors du tournage du septième Mission Impossible). En médiatisant sa prouesse du moment, l’acteur se démarque également des autres grosses franchises hollywoodiennes, où les effets spéciaux et scènes d’action vite expédiées deviennent une généralité. Une manière de concevoir qui rappelle que Mission : Impossible demeure aujourd’hui de loin la saga grand public la plus intéressante à observer. Loin d’être simplement des effets d’annonce, ses régulières capacités s’accompagnent généralement d’une mise en scène efficace et maîtrisée. Il ne faut pas oublier que derrière l’acrobatie se cache une personne ayant un intérêt pour le médium cinématographique. Conscient que le blockbuster contemporain rime de plus en plus avec morosité et désintérêt artistique, Tom Cruise se donne pour ultime mission d’offrir dès lors un pur plaisir de divertissement film après film (mentionnons la scène de l’avion en « gravité zéro » dans le désastreux reboot de La Momie). Cette capacité à utiliser les faiblesses de son propre milieu afin de tirer son épingle du jeu démontre également ses grands talents de producteur.


LE DERNIER SAMOURAÏ
À l’image du second volet de Top Gun, nous pouvons facilement critiquer les choix cinématographiques de Tom Cruise, depuis la fin des années 2010, comme des éternelles tentatives de glorifier son image. Des efforts plus que nécessaires afin de faire oublier ses nombreuses actions déplaisantes ou zones d’ombre apparues durant sa carrière (son interview chez Oprah Winfrey, sa manipulation de Katie Holmes, sa conversion à une secte controversée, etc.) Toutefois, plutôt que de l’observer comme le créateur de sa propre image médiatique, nous pouvons également le percevoir comme un prisonnier du système hollywoodien contemporain. Loin de dire que Cruise ne serait qu’un pantin des studios (un propos difficile à accepter quand nous voyons la forte personnalité de l’acteur souvent divulguée dans les médias), nous devons souligner le contexte économique dans lequel il doit constamment évoluer pour ne pas disparaître. Tom Cruise est alors utilisé de manière à réactualiser des succès cinématographiques passés (les Universal Monsters avec La Momie, le polar des années 70 avec Jack Reacher), voire ses propres succès cinématographiques passés (Mission Impossible, Top Gun). Coincé dans son image d’ingérable notoire, rendant les studios très frileux, l’acteur-cascadeur semble obligé de rester l’icône qu’il incarne afin de survivre. Une image plus forte que lui, qu’il a pourtant tenté de nuancer ou parodier durant sa carrière (Austin Powers dans Goldmember, Tonnerre sous les tropiques, Night and Day ou Rock Forever) mais qu’il n’a finalement rendu que plus intrigante. Tom Cruise aurait-il trouvé une mission trop impossible ?
Franchise parmi les franchises, Tom Cruise n’a pas dit son dernier mot dans une industrie du divertissement qui peine à se renouveler. Cherchant à étonner sans cesse dans un système de production de plus en plus codifié, qui amenuise de plus en plus la magie du grand écran face à la montée des plateformes de streaming (comme il l’a rappelé lors de son passage à Cannes pour la sortie de Top Gun : Maverick), l’acteur garde une aura particulière. Dans cette lutte artistique aussi incessante que légitime, Cruise continue de bâtir son propre monument, édifice qu’il ne pourra pas s’empêcher d’escalader dans l’une de ses nombreuses franchises !
Cycle Tom Cruise à découvrir sur Ciné + le 23 mai 2022 : Top Gun, Jerry Maguire, Magnolia, La Guerre des Mondes, Lions et Agneaux, Jack Reacher, Edge of Tomorrow, Jack Reacher Never Go Back.