Pour fêter les 130 ans du réalisateur l’exposition Charlie Chaplin, L’homme-orchestre, à la Philharmonie de Paris a ouvert ce 11 octobre. On y présente les rapports d’émulation entre le cinéma de Chaplin, et sa musique. La musicalité de l’image, son rythme, le personnage de Charlot ce corps dansant, l’univers sonore et les compositions orchestrales de Chaplin, tout y est scruté et permet de plonger dans l’univers du réalisateur par un prisme inédit. Bonne nouvelle : Gone Hollywood s’y est rendu pour vous !
Il aura fallu attendre 100 ans et l’année 1989 pour que Charlie Chaplin, réalisateur au sommet de l’art cinématographique, soit véritablement considéré comme le compositeur de génie qu’il était. Trente ans plus tard, la Philharmonie met en lumière à quel point le nom de « compositeur » sied à l’artiste, qui savait tout faire. Jouer devant la caméra, ou d’un instrument, réaliser et monter un film, ou inventer une partition, rien ne lui résiste. Mais la composante essentielle de son art, c’est le rythme. La cadence des images, le mouvement des corps, le tempo de la musique, tout s’imbrique de telle manière que la musique rythme les images, mais les images se font musique, évoquent des sonorités… C’est un fait presque étonnant, mais son et image, dans le cinéma pourtant muet de Chaplin, ne peuvent être dissociés. L’exposition Charlie Chaplin, L’homme-orchestre présente de manière matérielle l’œuvre de Chaplin, à travers son univers sonore et la musique de ses films. Cette approche originale est servie par une scénographie enthousiasmante qui aiguille le visiteur dans des structures de bois rappelant celles d’un studio de cinéma, et segmente la vie du réalisateur au rythme des différentes périodes de l’histoire du septième art.
à l’ombre de charlot
En passant les portes de l’exposition, nous sommes accueillis par un Chaplin musicien, la facette de l’homme qui nous intéresse, et qui pourtant ne se limite pas à la musique à proprement parler. Pour mieux la saisir, l’on déambule dans la pénombre, le long d’une galerie où nous est présentée la vie du jeune Chaplin, de ses parents artistes de music-hall, à son engagement dans la troupe de Fred Karno, jusqu’à sa découverte par Mack Senett et ses débuts tonitruants au cinéma. Il est passionnant de voir, à travers les objets présentés, vieilles affiches, photos, lettres manuscrites, et même le violon ayant appartenu à Chaplin, l’ombre de Charlot se dessiner, littéralement. Au bout de cette galerie, c’est la consécration : Chaplin signe un contrat avec la First National Pictures, et obtient le plus gros salaire jamais payé à l’époque : un million de dollars ! On ne peut s’empêcher de sourire face à cette improbable affiche Pathé qui vante, non les talents de réalisateur de l’artiste, mais son exploit financier. « Un million de dollars pour un an » lit-on en gras, sous son nom, tel le titre de son prochain film…

Chaplin lors de sa première tournée aux États-Unis avec la troupe de Fred Karno, juin 1911 © Roy Export Co. Ltd
Commence alors un parcours à travers des structures en bois clair, lumineux comme les projecteurs qui se braquent sur Chaplin. Ces constructions évoquent Londres, mais aussi, et surtout, le studio de cinéma que Chaplin a pu financer grâce au fameux million. Magnifique mise en scène ici, qui nous permet d’appréhender, en un clin d’œil, toutes les dimensions de Charlot : le petit Vagabond est devant nous, presque en chair et en os, au moyen d’une statue de cire à taille réelle. Le personnage, dont l’ombre se profilait à ses débuts, a pris corps. La star de cinéma est également présente, à travers les projections des scènes les plus célèbres des films de Chaplin, et avec elle, le musicien de génie puisque sa musique inonde l’espace en permanence. L’icône culturelle qu’il deviendra, enfin, se devine par la projection d’une animation de l’artiste Fernand Léger, dont on peut admirer plus loin les sculptures inspirées par Charlot.
Depuis l’âge de seize ans, je m’exerçais de quatre à six heures par jour dans ma chambre. […] J’avais de grandes ambitions de devenir un artiste de concert ou, à défaut de cela, d’utiliser mes talents de violoniste dans un numéro de music-hall, mais à mesure que le temps passait je me rendais compte que je ne pourrais jamais être excellent et je renonçai.
l’homme-orchestre
Au long de l’exposition, de petites fenêtres dans les parois nous permettent d’apercevoir, à tout moment, la silhouette du Vagabond. Car, si Chaplin, comme nous visiteur, s’en éloigne à la fin de sa vie, son empreinte sera toujours présente. Car si Chaplin a créé Charlot, c’est bien Charlot qui a fait Chaplin. Sur le parcours, on découvre des aspects méconnus de l’artiste. Que ce soit par des extraits de courts-métrages, tel celui d’Une Idylle aux champs (1925), dans lequel Charlot danse avec des nymphes un ballet hommage au chorégraphe Vaslav Nijinski dont les mouvements fascinaient Chaplin, ou grâce à des objets, le chemin est instructif. Saviez-vous par exemple que le personnage de Charlot avait inspiré des chansons et des musiques ? Ou que Chaplin compose déjà en 1916, et fonde avec son frère et deux amis la Charlie Chaplin Music Company pour sortir ses disques (sans grand succès) ? Des objets du passé nous ramènent à l’époque du cinéma muet, finalement pas si silencieux que cela, puisque l’on passe devant une étrange machine à bruiter qui permettait, comme son nom l’indique, d’ajouter en direct des sons sur le film, pour arriver devant la section consacrée à La Ruée vers l’Or (1925). Que tous les adultes s’apprêtent à retomber en enfance ! Sur le mur est projetée la célèbre « danse des petits pains » du film, sans aucun bruit. La possibilité vous est alors offerte d’écouter les différentes versions de la musique que Chaplin a jouée, ou envisagée, et voilà que vous redécouvrez cette scène, comme les premiers spectateurs, ou comme elle aurait pu être accompagnée, le rythme accompagnant toujours parfaitement les images. Incroyable moment !

Chaplin en répétition avec l’orchestre d’Abe Lyman, 1925 © Roy Export Co. Ltd
De nombreux dispositifs interactifs intéressants et ludiques donnent ainsi à entendre le processus de création musicale de Chaplin. Différents enregistrements des chansons et orchestrations de la musique illustrent pleinement le perfectionnisme du réalisateur. A chaque détour résonne la musique si évocatrice de Chaplin, et la possibilité s’offre à nous de se perdre un instant dans les séquences de ses films, des scènes déchirantes du Kid (1921) à la chanson de Charlot, toujours fascinante de drôlerie et de symbole. En effet, alors que l’industrie du cinéma a basculé dans le parlant, et que le monde entier attend d’entendre enfin la voix de Charlot, Chaplin, par une pirouette comique, lui fait perdre la parole en même temps que celles de sa chanson, et dotant alors le Vagabond d’un langage inintelligible et par là même, compréhensible par tous. Si elle se veut sonore, l’œil n’est donc pas en reste dans cette exposition, et dans chaque espace se trouvent de magnifiques panneaux photographiques, des images aussi belles qu’émouvantes, amusantes aussi, qui véhiculent parfaitement la poésie de l’artiste. Le parcours se clôt sur le discours du Dictateur. Soudain, plus de musique, ici c’est la voix qui impose son rythme hypnotisant.
Je songeais parfois à la possibilité de tourner un film sonore, mais cette perspective m’était déplaisante, car je me rendais compte que je ne réussirais jamais à atteindre l’excellence de mes films muets. Il me faudrait également renoncer totalement à mon personnage de Charlot. Certains me suggéraient de le faire parler. C’était impensable, car le premier mot qu’il prononcerait ferait de lui quelqu’un d’autre. D’ailleurs la matrice dont il était né était aussi muette que les haillons qu’il portait. »

© Roy Export Co. Ltd

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Charlie Chaplin, L’homme-orchestre rend donc compte à merveille du caractère essentiel de la musique dans les films de Chaplin, qui n’atteindraient pas un tel niveau d’excellence sans leur rythme unique, et les mélodies qui l’accompagnent. Les images ne sont pas complétées par la musique, elles en sont magnifiées, et ce d’une manière universelle, comprise par tous, à tous âges, dans tous les lieux. C’est pourquoi l’exposition se visite d’une manière très interactive, plaisant tout aussi bien aux enfants qu’aux adultes, chacun y trouvant son compte, tous y ressentant la même émotion face à l’œuvre d’un homme-orchestre dont la musique est si précise, si sensible qu’elle parlera encore, il y a fort à parier, dans une centaine d’années.
Copyright photo de couverture : Roy Export Co. Ltd/Marina Ilic-Coquio