Champs d’amours : 100 ans de cinéma arc-en-ciel

par

Divine Champs d'amour

Paris, ville des amoureux, capitale de l’amour bleu, jaune, vert, rose… Pour célébrer les 50 ans des émeutes de Stonewall et de la libération de la parole LGBTQI+, la Mairie de Paris organise une exposition (gratuite) retraçant un siècle de représentation homosexuelle, queer et travestie au cinéma.

A en croire les succès récents de Bohemian Rhapsody (Brian Synger, 2018) ou Les Crevettes Pailletées (Cédric Le Gallo et Maxime Govare, 2019), les douches de prix dorés obtenus par 120 Battements par minute (Robin Campillo, 2017)ou The Favourite (Yórgos Lánthimos, 2019), ou même le statut incontournable du jeune Xavier Dolan, l’on pourrait penser que ciné a toujours rimé avec thématiques LGBT. Quoi de plus cinématographique, en effet, qu’un travesti haut en couleurs ? De plus dramatique qu’une sexualité refoulée, qu’une identité dissimulée ? Pourtant, le grand écran -ce miroir des sociétés- n’a pas toujours offert des minorités sexuelles un reflet valorisant, ni même fidèle. Telle est l’histoire retracée cet été à l’Hôtel de Ville de Paris, à travers plus d’une centaine de documents : affiches, photos, scripts et même extraits projetés.

THE CELLULOID CLOSET

L’exposition, vaste et très joliment scénographiée, se divise en deux parties. Le visiteur est prié de commencer au premier étage, sorte de couloir du temps où l’on déambule le long d’une frise aux couleurs de l’arc-en-ciel. Le voyage débute il y a un siècle tout juste. A l’époque, l’homosexualité était avant tout un ressort comique, un prétexte scénaristique justifiant les travestissements et pitreries les plus extravagants. Pas une star burlesque, de Buster Keaton à Chaplin, qui n’ait provoqué le rire en minaudant, le corps drapé dans une robe. Dans les drames aussi, le personnage homosexuel existe mais il y occupe une place bien différente. Les préférences, lorsqu’elles ne sont pas hétérosexuelles, s’y portent comme un fardeau, une punition divine qui conduit à la déchéance. Punie ou moquée, la communauté LGBT n’était alors pas la bienvenue à l’écran et les affiches exposées frappent par leur noirceur. L’homosexualité s’y dévoile par sous-entendus, regards et choix de mots notamment, ce que n’arrange la promulgation du Code Hays aux États-Unis.  

© DR

Pendant plus de trois décennies (de 1934 à 1966), celui-ci veille à la moralité des longs-métrages diffusées dans les salles de l’Oncle Sam. Des relations un peu trop charnelles ou pas assez hétérosexuelles, des dialogues jugés canailles et voici le film censuré, soumis à des coupes ou tout bonnement interdit de sortie. L’homosexualité, par conséquent, entre au milieu du siècle dernier dans l’ère de la clandestinité. On aurait aimé que l’exposition insiste plus sur l’ingéniosité des scénaristes et réalisateurs qui ne manquèrent pas d’audace pour contourner la commission en s’appuyant sur l’intelligence du public (sur ce sujet, le documentaire The Celluloid Closet (Rob Epstein et Jeffrey Friedman, 1995) est aussi incontournable que passionnant). Tel personnage vit seul et on ne lui connait aucune amie. Tel autre aime décidément beaucoup la soie. Le cliché rendait alors possible une représentation discrète, alors même que les acteurs et actrices étaient pour la plupart enfermés dans des placards que les studios fermaient à double tour. Ce n’est qu’après leur mort que Cary Grant et James Dean, parmi tant d’autres, sont devenus les ambassadeurs de l’homosexualité à Hollywood. L’exposition aligne sur une fresque les grandes figures d’hier et d’aujourd’hui dont l’orientation n’est pas toujours connue, comme pour souligner que la tentative de sortir la question LBGT des bobines ne l’a pas exclue des plateaux.  

© Gamma

Révolution sexuelle et coming out

Il était inscrit quelque part que le 28 juin 1969 marquerait un tournant pour la communauté LGBT. Tandis qu’éclatent à Stonewall les émeutes qui conduiront à la création des mouvements arc-en-ciel, Hollywood rend un dernier hommage à Judy Garland, dont l’immortel Over The Rainbow deviendra un hymne pour la communauté naissante. L’année érotique, couplée à la libération de Mai 68 et à la mort progressive du Code Hays, voit le septième art faire sa révolution sexuelle. La thématique LGBT accompagne l’émergence d’un cinéma différent, de la Movida espagnole incarné par le « mélo queer » de Pedro Almodovar à l’underground trash de l’américain John Waters. Peu à peu, et suivant au plus près l’évolution des sociétés, le cinéma se risque sur de nouvelles thématiques, celles de l’homosexualité au féminin ou interraciale, de l’adoption, de la maladie, bien sûr, lors des années SIDA. 

Dans les biopics, l’identité sexuelle n’est plus tue mais constitue une facette fondamentale de l’identité des personnages. Ceux-ci, à mesure qu’ils sont acceptés, gagnent en profondeur et il n’est plus rare de voir les personnages LGBT valoir à leur acteur/actrice de belles récompenses, à l’instar de Tom Hanks (Oscar du Meilleur Acteur en 1994 pour Philadelphia, Hilary Swank (Oscar de la Meilleure Actrice en 2000 pour Boys Don’t Cry), Jared Leto (Oscar du Meilleur Second Rôle en 2014 pour Dallas Buyers Club) ou encore Olivia Colman (Oscar de la Meilleure Actrice 2019 pour The Favourite). Le Festival de Cannes n’est pas en reste, qui prime des films comme Adieu ma concubine (Chen Kaige, 1993) ou La Vie d’Adèle (Abdellatif Kechiche, 2013), tandis qu’en France, le monde du cinéma remet le premier César du Meilleur Film posthume aux Nuits Fauves de Cyril Collard, terrassé par le SIDA trois jours à peine avant la cérémonie. Au bout de la frise chronologique, un mur rappelle l’importance (et, surtout, la variété) des questions LGBT dans le cinéma d’aujourd’hui tout en démontrant par un empilement d’affiches que le placard est désormais ouvert, et bien ouvert puisqu’il rime très souvent avec succès public. De quoi conclure à la normalisation de la thématique LGBT dans le cinéma actuel ? Pas tout à fait

© Fox Searchlight

Champs de thématiques

Au rez-de-chaussée, pour la deuxième partie de la visite, l’exposition Champs d’amours parie sur l’extravagance. La question LGBT se fragmente en espaces thématiques à la scénographie ludique. Les couleurs explosent sur les murs tandis que résonnent le Sweet Transvestite du Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975) et le I Will Survive de Priscilla, folle du désert (Stephan Elliott, 1994), annonçant un espace de projection. De fait, des visiteurs se cachent dans de petites alcôves pour déguster en toute tranquillité des extraits de films mentionnés au cours de la partie historique. On y découvre des trésors, bien sûr, mais on prend aussi plaisir à revoir certaines scènes savoureuses comme le maniement de la biscotte de Michel Serrault dans La Cage aux Folles (Edouard Molinaro, 1978) ou le tango enflammé de Gazon Maudit (Josiane Balasko, 1994) entre Josiane Balasko et Victoria Abril. Il serait néanmoins dommage de s’installer si confortablement qu’on en oublierait de visiter les petites salles adjacentes : backroom sombre dédiée au porno, petite enclave consacrée au courts-métrages, Hall of Fame d’acteurs et réalisateurs ayant fait avancer la cause part leur art… Mais aussi un rappel des dernières polémiques ayant lié thématiques LGBT et cinéma.

© 20th Century Fox

© DR

C’est Steven Soderbergh qui se voit contraint de proposer en 2013 son film Ma vie avec Liberace à HBO, devant le refus des studios de proposer un film jugé « trop gay ». C’est le Boy Erased (2018) de Joel Edgerton privé de sortie au Brésil par un gouvernement local défendant les centres de conversion dénoncés dans le film. C’est l’affiche de L’Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2012) retirée des murs de Versailles et Saint-Cloud car jugée pornographique par les maires. Sur grand écran comme dans la rue, le combat continue, ce que Champs d’amours, exposition pétillante et militante, montre avec succès.

CHAMPS D’AMOURS

du 25 juin au 28 septembre 2019

Mairie de Paris –  Salle Saint Jean
5 rue de Lobau
75004 PARIS

Métro : Hôtel de Ville

Horaires

Du lundi au samedi, de 10h à 18h30
Fermé le dimanche

Tarifs

Gratuit