Diana Prince revient dans cette première (?) suite de Wonder Woman affronter les terribles Cheetah et Maxwell Lord et leurs machiavéliques desseins. Mais dans l’ombre rôde une menace plus terrible encore : celle de Patty Jenkins, décidée à brûler toute l’estime qu’on avait pour elle au lance-flamme dans un grand feu de joie.
ORWELL NOUS AVAIT POURTANT PRÉVENUS
J’ai un aveu à faire. J’adore Wonder Woman. Vraiment. C’est un des meilleurs personnages de super-héros crées à l’âge d’or des comics. La mythologie est sans fin, les bonnes histoires très nombreuses et porteuses d’un art somptueux en plus d’avoir souvent un propos très pertinent et mature lors de certaines périodes, notamment lors des années 80 avec George Perez aux manettes, où le personnage a connu une refonte complète qui l’a amené à la Wonder Woman moderne telle qu’on la connaît encore aujourd’hui, à peu de choses près, malgré les nombreuses variations et reboots. Aussi, quand il fut décidé de donner une suite au méga-carton du premier volet signé Patty Jenkins et de la placer dans les années 80, on aurait été en droit d’attendre une forme de minimum de respect, de fidélité à l’essence de l’oeuvre d’origine lors de cette période ô combien incontournable du personnage, au même titre que Year One et The Dark Knight Returns pour Batman. C’était hélas faire preuve de naïveté voire d’amnésie envers un studio qui n’a eu de cesse de dé-mythifier ses plus grands héros au cinéma ces dernières années, que cela soit passé par un massacre de production (Justice League, Z. Snyder, 2017), un infantilisme insultant (Shazam, D.F. Sandberg, 2019), un ton clairement beauf (Suicide Squad, D. Ayer, 2016 et Aquaman, J. Wan, 2018) ou de l’humour pipi-caca qui abandonne toute velléité de transposer quoi que ce soit des comics à l’écran (Birds of Prey et la fantabuleuse pantalonnade). Un tel niveau de cynisme qui a réussi l’exploit de faire passer l’ogre opportuniste Marvel Studios pour un parangon de sagesse et de respect envers les comics et ses fans, bref un vrai tour de force en soi. Ici le niveau d’abandon est si abyssal à tous les postes qu’on est en droit de se demander si le sabotage n’était pas conscient au plus haut niveau au point de pousser le film à sortir en dépit du bon sens alors que la situation sanitaire lui rend impossible tout espoir de rentabilité, avec en plus l’excuse de la sortie simultanée sur HBO Max pour Noël, une façon de noyer le poisson. Traduction : on a voulu se débarrasser de la saleté en la balayant sous le tapis. Mais jugez plutôt l’ampleur de la mascarade (attention, ça va spoiler) : depuis la Première Guerre Mondiale, Diana continue son train-train dans le monde des hommes loin de son île qu’elle ne visitera à aucun moment dans le film. Même si ça aurait pu l’aider. Pourquoi ? Parce que. On a quand même droit à une incroyablement longue intro en forme de flashback jamais contextualisé montrant les Amazones faire leurs J.O. avec un triathlon filmé avec la grâce d’une épreuve d’Intervilles. Le seul but de la scène ? Garantir l’apparition contractuelle de Robin Wright et Connie Nielsen et introduire la thématique de la vertu de la vérité, ce qui était totalement dispensable puisque tout le premier film reposait déjà entièrement dessus. Puis on a une deuxième intro totalement déconnectée de la première (ah, le montage, cet art si mystérieux) cette fois moins inutile. Déjà parce qu’elle montre Wonder Woman en action dans son costume et le nombre de fois où ça va arriver en 2h30 se compte sur les doigts d’un boucher aveugle terriblement maladroit – désolé pour ceux qui pensaient voir Wonder Woman sous prétexte que son nom est dans le titre, ici on n’est pas là pour avoir des choses aussi futiles que la logique. Ensuite cette scène a une deuxième qualité, elle est hilarante de nullité. Un voleur tente de tuer un enfant en prétextant que ça l’empêchera d’aller en prison (?????????), ses complices tentent de sauver l’enfant après avoir menacé de mort des civils (??????), et Wonder Woman bousille les caméras de sécurité APRÈS qu’elles l’aient filmée !!! (?!?!?!???????). Et le mieux, c’est que la scène est remplie de gags hideux sur fond vert qui donnent l’impression que Wonder Woman est autant dans la scène qu’un type qui ferait des ombres chinoises devant le projecteur de l’écran.


On se surprend alors à avoir une sorte d’espoir masochiste, d’avoir affaire à un de ces films tellement nuls qu’ils en deviennent des comédies involontaires, à la manière d’un Batman et Robin (J. Schumacher, 1996), Virus Cannibale (B. Mattei, 1980) ou Amour (2012) de Haneke, bref un vrai navet pur jus. Peine perdue, Patty Jenkins parvient à décevoir même dans ce département. Car ce qui suit va être une heure entière d’exposition la plus molle, la plus mal écrite et la moins réalisée que le DCEU ait connue jusqu’à présent. Parvenir à rendre ennuyeux, pas drôles et inintéressants Kristen Wiig et Pedro Pascal, voilà un accomplissement dont on se serait volontiers passé. Wiig devient donc ici Cheetah (jamais nommée Cheetah à aucun moment dans le film), ennemie jurée de Wonder Woman (jamais nommée Wonder Woman non plus à aucun moment dans le film, ces gens ne savent clairement pas de quoi ils sont sensés parler), et la production n’a rien trouvé de mieux que de mal plagier le développement de Selina Kyle en Catwoman dans le second Batman de Tim Burton, à la différence près que Cheetah prend l’apparence d’une caricature kitsch et criarde des eighties avant de se transformer en un mélange entre un des cats en CGI de Tom Hooper et un masque raté de L’Île du Dr Moreau des nineties qu’on aurait passé au mixeur. Pour couronner le tout, son affrontement avec Diana se résume à un mini-combat puis à un climax expédié en quelques plans lorsque Wonder Woman arbore une armure d’or (qui reprend de façon parfaitement hors-sujette et en plus toc qu’un cosplay l’armure amazone de Kingdom Come signée Alex Ross) qui rend caduque toute attaque de Cheetah. Aucun enjeu dans les combats, aucun intérêt, et des CGI qui semblent dater d’il y’a au moins 10 ou 15 ans, bref que du bonheur. Pour ce qui est du personnage de Pedro Pascal, Maxwell Lord, l’affront est démultiplié. Ici on a carrément pris le nom d’un personnage pour changer ses origines, son apparence, ses pouvoirs, sa personnalité et toute son essence pour en faire une métaphore lourdingue et nanardesque de Donald Trump. Dans les comics Maxwell Lord est un mastermind de génie qui a le pouvoir de faire obéir toute personne aux mots qu’il prononce. Un pouvoir simple allié à une personnalité de sociopathe trempé dans le paramilitaire et toutes les armes possibles et imaginables pour venir à bout de ses ennemis. Un méchant qui, lorsqu’il était bien écrit et utilisé, pouvait se mesurer facilement à toute la Justice League et faisait jeu égal avec Lex Luthor. Dans une de ses meilleures histoires, il poussait la League a bout et Wonder Woman se servait du lasso de la vérité pour obliger Lord à se servir de son pouvoir pour demander à Wonder Woman de le tuer, ce qu’elle fait sans battre un cil en lui brisant la nuque. Évidemment, quand on passe à l’adaptation, c’est une autre paire de manches : Max Lord (pas « Maxwell », ne me demandez pas pourquoi) est un arnaqueur loser trempé dans l’idéologie de la gagne à tout prix. Il prend donc possession d’une pierre magique qui réalise les voeux (????), fait le souhait de fusionner avec (??????) et prend comme objectif de réaliser le souhait de toute personne sur Terre (?????????). Alors plusieurs problèmes à soulever ici. Premièrement, réaliser le souhait des gens c’est pas un but de méchant de film de super-héros, c’est le boulot de make-a-wish ou du Père Noël – concentrez-vous deux minutes sur ce que vous écrivez par pitié ! Ensuite, pourquoi fusionner avec la pierre alors que son but était d’être le roi du monde ? Pourquoi ne pas juste souhaiter être le roi du monde ? Pourquoi personne n’a soulevé ce problème de cohérence évident à l’écriture, au tournage ou au montage ? Et surtout, pourquoi j’en ai encore quelque chose à carrer à ce stade de n’importe quoi permanent ? Mystère absolu, continuons ce chef d’oeuvre.


RENONCEMENTS
Entre temps, Diana a fait le voeu (implicite d’ailleurs, la pierre est vraiment top) de ressusciter Steve Trevor. Mais si, Steve, vous savez, Chris Pine, du premier film. Mais si, le blond là. Non pas Chris Evans. Celui qui va dans l’espace. Non pas Chris Pratt. Celui dans Star Trek. Non pas Chris Hemsworth. Le Captain Kirk, là, vous êtes contents ? C’est Kirk. Et du coup, Kirk est perdu dans les 80’s et on nous refait le coup du fish out of water du premier film en inversé (déjà pompé en soi sur le premier Thor (2011) qui lui-même pompait Les Visiteurs (1993) de Jean-Marie Poiré) avec cette fois Kirk en candide crétin découvrant avec émerveillement les inventions des 80’s comme les vélos d’appartement qui a son grand étonnement n’avancent pas (?????) ou les poubelles (???????????). Attendez une minute. Kirk qui découvre les eighties, c’est le pitch du Star Trek IV (L. Nimoy) de 1986 ! Ce film nous refait Star Trek IV avec le nouveau Kirk ! On passe la majorité d’un film Wonder Woman où Diana fait TOUT sauf son boulot de super-héroïne et en plus on plagie un des pires Star Trek de toute l’histoire pour des gags hors-sol. Vous êtes des génies. Vous êtes des dieux. Vous avez réussi à créer un nouveau cercle de l’enfer filmique où même les démons devant se disent « non là quand même j’avoue, c’est chaud ». Et là on en arrive à un autre problème, encore pire que tout ce qui a précédé jusque là. Le propos du film. Le film insiste pour montrer trois choses essentielles au sujet des voeux : premièrement chaque voeu est accompagné d’une punition. Par exemple, lorsque Steve est ressuscité, Wonder Woman perd ses pouvoirs. Enfin certains. Enfin des fois. Le film le montre tellement mal qu’on a des scènes entières où elle saigne et semble mal en point et en même temps se bat a merveille et déploie une force colossale, donc pas évident de s’y retrouver dans les incohérences. Deuxièmement chaque personne n’a droit qu’à un seul voeu et la pierre/Lord est obligé de l’exaucer. Mais pas toujours. Cheetah a droit à deux voeux, parce que pourquoi pas, au point où on en est, et le fils de Lord se voit refuser son premier voeu mais Lord est obligé d’exaucer le second par le pouvoir magique du scénario. Les règles n’ont aucun sens et se contredisent parfois dans un même dialogue. On en est là. Troisièmement TOUS les voeux sont mauvais. A un moment tous les humains sont invités à formuler un voeu. Personne ne souhaite un remède au SIDA (ça m’aurait traversé l’esprit dans les eighties) ou au cancer, ou mettre fin a la Guerre Froide ou à toutes les guerres. Personne ne souhaite la paix au Moyen-Orient, la fin de la pollution, de la famine ou j’en passe. Tous les voeux sont horribles, égoïstes, cruels et dangereux. Par exemple, Steve Trevor prend clairement la place d’un autre être humain en revenant à la vie et ça ne pose strictement aucun problème moral à Diana quand on le lui montre. Ah, championne des vertus, de la justice, de la vérité et de j’ai-clairement-pas-tiré-un-coup-depuis-littéralement-la-Première-Guerre-Mondiale. Mais dans la vie, ça ne marche pas comme ça. Vous n’allez pas me faire croire que même dans ce monde toc jamais crédible, dans la masse il n’y a pas au moins un parent qui n’ait pas souhaité que son enfant ne soit pas mourant, que sa famille ne soit pas dans la rue, que son pays ne soit pas sous une emprise dictatoriale. C’est non seulement stupide de réduire l’humanité a ses plus bas instincts, mais c’est aussi une vision incroyablement cynique et désespérante du monde. Derrière ses apparats de mielleux et de naïveté et de bons sentiments avec un méchant symbolisant clairement un mal absolu (Trump, cité verbatim et carrément placé devant un sceau de la Maison-Blanche si jamais 2-3 étourdis n’avaient pas encore bien compris), Wonder Woman 1984 est un film totalement ravagé d’idiotie nihiliste puérile qui inculque aux gens que pour faire le bien il faut avant tout renoncer à nos rêves et à ce qui nous est le plus cher. Je m’attendais au moins à un message d’empowerment pour toutes les petites filles rêvant de devenir Wonder Woman, mais le film insiste pour éviter de montrer un minimum clairement un acte d’héroïsme de sa part (l’attaque du convoi qui est la scène d’action centrale du film est une insulte aux métiers de réalisateur, monteur, directeur de la photo, scripte, storyboarder, artiste en numérique et j’en passe) et en plus balancer un fond abject de renoncement total à toute forme d’émancipation de notre condition. Que ce propos soit celui de sa réalisatrice ou des scénaristes, soit. Mais que cela vienne d’une histoire de Wonder Woman, c’est exactement comme si on avait pris Batman pour justifier la peine de mort, Superman pour dire que la justice n’existe pas ou Spider-man pour démontrer que le pouvoir ne donne aucune responsabilité. D’ailleurs c’est de très mauvais exemples puisque les trois sont déjà arrivés. Que tirer donc de Wonder Woman 1984 ? Et bien si vous avez suivi, rien. Non, presque rien. Il y a tout de même une scène assez réussie dans cette poubelle géante, comme une cerise intacte et entière sur une piscine de vomi : Wonder Woman apprend enfin à voler. Un de ses pouvoirs les plus élémentaires depuis longtemps aura donc mis 4 films et plus de 5 ans a arriver au cinéma. Une scène assez prenante, et pour cause : elle singe au plan près celles de Man of Steel (Z. Snyder, 2013), Hook (S. Spielberg, 1991) (!!!!) et même le Supergirl (J. Szwarc) de… 1984. Enfin, quelque chose fait sens dans ce film et je suis persuadé que c’est dû à un hasard total, mais que voulez-vous : même une horloge cassée a raison deux fois par jour.
A la production : Patty Jenkins, Charles Roven, Deborah Snyder, Zack Snyder, Stephen Jones (II), Gal Dadot, Wesley Coller, Walter Hamada, Marianne Jenkins, Geoff Johns, Rebecca Steel Roven, Richard Suckle, Chantal Nong, Elise Iglesias et Anna Obropta pour Atlas Entertainment, DC Comics, DC Entertainment, The Stone Quarry et Warner Bros.
Derrière la caméra : Patty Jenkins (réalisation). Patty Jenkins, Geoff Johns et Dave Callaham (scénario). Matthew Jensen (chef opérateur). Hans Zimmer (musique).
A l’écran : Gal Gadot, Chris Pine, Kristen Wiig, Pedro Pascal, Robin Wright, Connie Nielsen, Lilly Aspel, Amr Waked.
Sur Ciné + le : 2 mars 2022.