Une femme de la haute bourgeoisie est retrouvée assassinée à son domicile madrilène. Elle est bizarrement accoutrée, à ses côtés se tiennent deux mannequins arborant une tête de singe. Les deux policières chargées de l’enquête ne comprennent rien à cette mise en scène mais nous, spectateurs, savons immédiatement de quoi il retourne puisque tout ou presque nous est dit et montré dans le titre et l’affiche du film : The Goya Murders. Il y aura donc plusieurs assassinats, s’inspirant des fameux Caprices de Goya. Mais ça, les deux fliquettes espagnoles ne l’ont pas encore compris. Elles auraient dû se renseigner sur le titre original du film, El asesino de los caprichos (en français The Goya Murders…)
GOOD COP/BAD COP
Nos deux fliquettes forment un couple classique, celui du “Good Cop/Bad Cop”. L’une est blonde à cheveux courts, l’autre est brune à cheveux longs ; la première est mariée et a deux enfants, la seconde est célibataire et a des amants, avorte quand elle est enceinte ; la première, boit très modérément et ne fume pas, la seconde picole comme un trou et descend un paquet de clopes tous les quarts d’heure. Et forcément, ces deux policières qui ne se connaissent pas et travaillent pour la première fois ensemble se détestent d’entrée. Qu’on se rassure, elles deviendront copines par la suite, ouf ! Le soir, Good Cop et Bad Cop se rendent évidemment dans un bar de flics ; et quand Bad Cop veut réfléchir ou discuter avec son chef qui est aussi l’un de ses amants, elle le retrouve sur le toit du commissariat où ils vont fumer force clopes. L’affaire commence vraiment mal. Comment croire à des personnages et ces situations qui ne sont qu’un catalogue de clichés emprunté aux films et séries amerlocaines ? En s’accrochant à l’histoire. Or donc, très vite un deuxième meurtre est perpétré. Good Cop et Bad Cop vont enfin comprendre que les mises en scène macabres recréent les Caprices de Goya, et que chacune des victimes possédait un tirage desdits Caprices qui a été volé. Aussi Bad Cop va-t-elle consulter le directeur de la Chalcographie nationale (le département muséal qui conserve les gravures) pour obtenir la liste des personnes collectionnant cette série d’œuvres. Car l’assassin ne va pas s’arrêter là, pour sûr, Joe ! Le directeur nous sert alors, mot pour mot, quelques morceaux choisis de la fiche Wikipedia consacrée aux Caprices. Avec une belle erreur pêchée on ne sait où, puisqu’il affirme que la dernière série de tirage des Caprices date de 1970 alors qu’en vérité elle fut effectuée en 1937. Fatale faute de frappe dans le scénario… Il précise enfin que la liste des collectionneurs est trop grande, impossible à dresser, et c’est tout à fait exact. Le mari de Good Cop, qui comme par hasard est prof d’histoire de l’art, complètera notre éducation en continuant de lire la fiche wiki. Plus tard, alors que l’enquête tourne en rond, Bad Cop rencontre à nouveau le directeur de la Chalcographie nationale (c’est lui l’assassin, on l’a tous compris sauf Bad Cop) qui va lui expliquer la technique de la gravure sur cuivre employée par Goya pour créer ses Caprices. Et là c’est le drame car le scénariste, qui n’y connaît que pouic en matière de gravure, s’emmêle un peu les pinceaux. Son personnage dit en effet que la plaque est recouverte d’un vernis “spécial”, que le graveur dessine sur ladite plaque avec un burin ou une pointe sèche, qu’il dépose ensuite la plaque dans un bac empli d’acide puis nettoie la plaque, la recouvre d’encre et imprime des tirages.

© Manu Trillo

© Manu Trillo
LES INCOHÉRENCES DE GOYA
Comment peut-on enchaîner autant d’absurdités dans un film dont l’action se déroule dans le monde des collectionneurs d’art ? Revenons sur les affirmations ci-dessus. Il existe, en gros, deux techniques de gravure. La première, née au XVe siècle, consiste à graver le dessin sur la plaque de cuivre avec un burin. La seconde, née un siècle plus tard, recourt à l’acide : le graveur dessine avec une pointe sèche (une espèce de crayon dont la mine est une pointe de métal) sur une plaque recouverte sur ses deux faces d’un vernis protecteur avant de la plonger, pendant environ une demi-heure, dans un bain d’acide nitrique. Lequel va creuser le métal partout où le vernis aura été ôté par la pointe sèche. C’est ce qu’on appelle la technique de l’eau-forte (aqua fortis, ancien nom de l’acide nitrique). L’acide fait le boulot du graveur, qui se contente de dessiner sur la plaque au lieu de la graver directement avec un burin. Dans ce cas-là on n’utilise donc jamais cet outil, devenu inutile. Mais apparemment, notre directeur de la Chalcographie nationale, qui se prétend également graveur, ne connaît pas ces subtilités. Comme il ne connaît pas non plus la particularité des gravures de Goya, qui créait différentes valeurs de gris en utilisant une technique révolutionnaire à son époque, l’aquatinte (on vous épargnera la description du procédé). Petit détail amusant : le directeur de la Chalcographie, joignant le geste à la parole, dépose une plaque de cuivre dans un bac puis verse de l’acide dessus et ça fait tout plein de fumée et c’est très impressionnant. En vérité, aucune fumée ne se forme quand on verse de l’acide sur une plaque de cuivre ! Mais pour l’image, pas de doute, c’est plus intéressant. Au rayon image, signalons un incontournable du film policier amerlocain : la course poursuite en voiture. Celle de Goya Murders semble être menée par Derrick, on est loin, très loin de Bullitt ou de French Connection. N’est pas Steve McQueen ou Gene Hackman qui veut.
Le reste du film est ponctué d’incohérences scénaristiques, en voici deux : en plus des gravures de Goya, l’assassin a volé chez deux de ses victimes deux tableaux, qu’il s’apprête à revendre. Ces deux tableaux étaient pourtant toujours accrochés aux murs des deux victimes quand Good Cop et Bad Cop vinrent constater les meurtres ! C’est en tentant de revendre l’un d’eux lors d’une vente aux enchères à Bruxelles que le meurtrier se fera coincer. Pas par le commissaire-priseur qui, contrevenant à toutes les habitudes de la profession et ne craignant pas de passer pour un receleur, n’a pas vérifié la provenance de la toile, mais par Good Cop qui a obtenu l’information on ne sait comment. Au dernier plan, elle lance un regard noir à l’assassin qui, un peu plus tôt, a également tué Bad Cop en lui plongeant la tête dans l’acide, et ça a fait tout plein de fumée et c’était très impressionnant ! Le cinéphile amateur d’art prendra bien soin d’éviter cette navrante bobine digne des plus mauvais téléfilms, ira plutôt contempler la merveilleuse série des Caprices de Goya par là.

© Wild Side
The Goya Murders (El asesino de los caprichos, 2020 – Espagne et Belgique) ; Réalisation : Gerardo Herrero. Scénario : Ángela Armero. Avec : Aura Garrido, Maribel Verdú, Roberto Álamo, Daniel Grao, Ginés García Millán, Ruth Gabriel, Antonio Velásquez, Laurent D’Elia, Aitor Fernandino, Óscar Pastor, Laura Cepeda, Francisco Escribano, Víctor Anciones, Nathalie Portela, Tony Madigan, Eduardo Aladro, Luis Chamorro, Juan Dávila, Paula Pielfort. Chef opérateur : David Omedes. Musique : Vanessa Garde. Production : Gerardo Herrero, Sébastien Delloye et Mariela Besuievsky – Entre Chien et Loup, Movistar +, Tornasol Films S.A., et RTVE. Format : 2.40:1. Durée : 95 minutes.
En VOD et achat digital le 30 juillet 2020.
Copyright photo de couverture : Manu Trillo/Gone Hollywood.