Il y a déjà 20 ans que le monde du cinéma se plongeait dans les combats vers la rédemption autour des groupuscules d’extrême droite américaine grâce aux péripéties de Derek, incarné par Edward Norton dans American History X (T. Kane, 1999). Cette année, en se fondant sur la vie de Bryon Widner, un skinhead repenti, le réalisateur israélien Guy Nattiv propose une autre vision de ces groupes et la possibilité de sortir de leur endoctrinement. Porté par un Jamie Bell à la fois frénétique, sensible et partagé entre la violence de son club et l’amour qu’il porte à sa nouvelle famille, le long métrage Skin dépeint le parcours semé d’embûches vers la rédemption d’un homme déchiré entre deux foyers.
Le réalisateur israélien Guy Nattiv, pas peu fier de son Oscar du meilleur court-métrage pour son homonyme Skin, a fait d’abord ses armes dans la publicité pour de grandes marques avant de se lancer dans la conception de métrages pour le cinéma. Strangers, son premier film réalisé en 2011, a fait le tour de nombreux festivals internationaux. Grâce au succès critique de son court-métrage aux multiples récompenses, Nattiv a pu trouver les fonds nécessaires pour réaliser son premier film américain. A travers l’adaptation de la vie Bryon Widner, un néo-nazi en quête de rédemption, Nattiv explore les maux d’une Amérique profonde que la pauvreté et la faim poussent à rejoindre les causes les plus discutables. Le point de vue adopté dans Skin lui permet de rencontrer l’homme derrière ce changement absolu, afin de comprendre la transformation radicale de l’individu et de la retranscrire le plus efficacement possible à l’écran sans édulcorer ni arranger son histoire.
Quand j’ai découvert l’histoire de Bryon en 2012, les États-Unis étaient différents mais tout laissait à penser que cela allait exploser d’un moment à l’autre. J’ai senti que raconter l’histoire rarissime d’un homme dévasté qui malgré tout, allait au bout de lui-même pour rompre avec une vie de haine et d’intolérance, était vital.
À FLEUR DE PEAU
Skin s’ouvre en 2009 quelque part dans l’Ohio, état dont la devise promet à l’en croire qu’avec Dieu, « tout est possible ». La caméra se concentre sur un affrontement entre des skinheads et des manifestants anti-racistes. Les esprits s’échauffent et des coups sont échangés. Les forces de l’ordre interviennent et forcent les deux groupes de manifestants à se disperser. Deux skinheads partent à la chasse d’un activiste noir qui a eu « le malheur » de s’en prendre à l’un des leurs. Ils finissent par l’attraper et le passent à tabac. L’un d’eux s’appelle Bryon Widner, aussi surnommé « Pitbull ». Bryon appartient à un club qui prétend réunir des descendants des Vikings, inspiré du nom du Vinlanders Social Club. Notre homme y mène une vie rythmée par l’alcool, les bagarres, la drogue et le sexe, mais possède aussi un magasin de tatouages où il réalise ses plus belles créations haineuses pour ses frères d’armes. Bryon peut également compter sur son fidèle Rottweiler qui répond au « doux » sobriquet de Boss. Lors d’un festival organisé par le club, notre skinhead s’apprête à faire une rencontre qui va bousculer toutes ses convictions. Sur scène se produit un groupe de musique parmi laquelle le jeune homme repère Julie. Lorsqu’un Vilander interrompt la prestation musicale, Bryon prend aussitôt la défense des filles et attaque son camarade en représailles. Par prise de position s’amorce la transformation progressive de Bryon.

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Pour le choix de l’acteur qui portera les nombreux tatouages de Widner, le choix du réalisateur s’est porté sur le britannique Jamie Bell, autrefois enfant-acteur repéré par sa brillante interprétation de Billy Elliot, devenu depuis une valeur sûre du cinéma mainstream et indépendant, qu’il passe entre les mains de Spielberg (Les Aventures de Tintin, 2011) ou de Lars Von Trier (Nymphomaniac, 2013). Pour épouser ce rôle à la perfection, Jamie s’est littéralement transformé, physiquement – une prise de 10 kg en un temps record ainsi que la « disparition » intégrale de ses cheveux – et même psychologiquement – afin de parfaire sa composition et ainsi capter toute l’essence de son personnage. Bell a également rencontré l’homme derrière les tatouages. De cette préparation résulte une vraie prestation de composition. L’incarnation de Bryon se révèle complète, voire totale : Bell EST Widner. Il alterne tout du long du film à la fois le skinhead violent, l’homme rongé par ses doutes mais aussi la figure paternelle emplie d’amour pour Julie et ses trois petites filles. Le déchirement de l’âme du personnage en devient palpable. Il rejette de plus en plus l’endoctrinement du club pour se tourner vers une vie pleine d’amour. Le réalisateur fait le choix d’illustrer sa rédemption en incorporant des scènes des opérations que Bryon a subies pour effacer ses nombreux tatouages, à des moments précis de la transformation spirituelle de l’homme. Pour l’anecdote, il lui aura fallu près d’un an et demi ainsi que plus d’une douzaine d’interventions extrêmement douloureuses pour retirer ceux qui marquaient son visage !
C’est de Jamie que provient l’émotion centrale du film, de par sa performance viscérale et explosive. Par ailleurs, je trouve qu’il a réussi à dépeindre avec nuance la vie d’un homme complexe, en proie aux accès de violence.
EFFACER LA HAINE
Si la transition émotionnelle du personnage se concrétise, le visage du skinhead repenti reste quant à lui marqué et reconnaissable entre mille. Son ancien club ne le laissera pas partir sans aucune résistance. Bryon doit ainsi entamer sa renaissance et Daryl Lamont Jenkins, incarné par Mike Colter, Luke Cage au petit écran, lui propose d’effacer ses tatouages à la seule condition que Bryon dénonce les agissements malveillants de ses frères d’armes. A l’image de son tatouage montré lors de son incarcération (« Snitches get stitches »), Bryon s’en sort avec des cicatrices inévitables pour envisager une nouvelle vie. L’effacement des tatouages de Widner avait d’ailleurs déjà fait l’objet d’un documentaire à la télévision américaine, Erasing Hate (B. Brummel, 2011), littéralement « effacer la haine». Ce titre condense à lui seul toute l’essence de son histoire. Ces tatouages sur-signifient la marque d’appartenance à un club identifiable avec ses propres codes et valeurs. Ils renvoient directement à cet état d’esprit, celui de Widner et ses comparses.

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Ces dessins et symboles appartiennent à l’idéologie suprémaciste blanche, tristement connue pour son extrême violence, son organisation verticale, son rejet total de l’autre mais aussi par sa grande opacité. Pour rappel, il s’agit surtout d’un cercle particulièrement fermé avec des méthodes de recrutement dignes des sectes les plus célèbres. Ces clubs ciblent particulièrement des jeunes en perte de repères, complètement abandonnés par une cellule familiale absente voire démissionnaire, et les amadouent avec de la nourriture ou simplement avec la possibilité d’appartenir à une communauté où chacun compte. Ce type de recrutement, Guy Nattiv l’illustre parfaitement avec le personnage de Gavin, un de ces jeunes affamés que Bryon et le patriarche Fred Krager, campé par l’acteur expérimenté Bill Camp, croisent lors d’un trajet en voiture. Le premier rongé de doutes à l’encontre de ses agissements antérieurs, questionne la jeune recrue qui finit par lui répondre après plusieurs hésitations. Seule la faim l’enjoint à venir intégrer le club. L’allégeance obéit alors à un cérémonial précis : rasage de crâne et tatouages apparents sur une palette chromatique qui oscille entre les blanc, noir et vert kaki. C’est d’ailleurs la colorimétrie du film qui joue ici un rôle primordial dans la mesure où elle permet de distinguer tout aussi bien les deux mondes de Bryon que d’illustrer son déchirement. D’un côté, des couleurs saturées tournant autour du blanc, noir et kaki pour le club et ses dérives violentes, donc. Les couleurs plus vives comme le cyan et le rose, principalement reléguées aux vêtements des jeunes filles, incarnent à l’inverse l’amour et la chaleur d’un foyer stable, loin des frasques violentes teintées de racisme. Le vert « chirurgical » englobe quant à lui toutes les séances d’effacement de tatouages, accentuant la douleur du protagoniste. Les couleurs chaudes, enfin, identifient la présence de Julie et de ses filles pour contraster avec l’ambiance grisâtre de l’ensemble. La caméra, quant à elle, reste au plus proche des personnages, toujours en mouvement, dans un souci évident de réalisme. Car l’inspiration des faits réels ne concerne pas seulement la trame scénaristique, elle infuse également dans la mise en scène de Guy Nattiv qui, par souci d’authenticité donc, adopte un style quasi-documentaire.
Portée par un Jamie Bell en grande forme, cette fresque dans les bas-fonds des États-Unis invite le spectateur à une réflexion salutaire sur les possibilités toutes humaines d’une évolution vitale, la rédemption en somme. Suite à une mauvaise décision, un individu peut se perdre et embrasser une cause destructrice. Toute prise de conscience, ou du moins la possibilité d’une nouvelle vie, reste à chaque instant envisageable, quitte à pousser tout un chacun dans ses moindres retranchements. Et c’est bien là le postulat fondamental du film de Guy Nattiv : « peut-on donner une seconde chance à un homme qui a voué sa vie à la haine de l’autre ? ». En mettant en lumière l’humanité de son protagoniste d’un point de vue profondément réaliste, le cinéaste répond par l’affirmative, à condition de paver son avenir de bonnes intentions bien sûr. Et pour preuve, Bryon Widner parcourt aujourd’hui le pays afin d’y « prêcher la bonne parole » dans le cadre de conférences sur la tolérance et l’acceptation de la différence. Cette nouvelle vie achève ainsi d’infirmer la théorie avancée par Guy Nattiv. CQFD.

© The Jokers
Skin (2018 – USA) ; Réalisation et scénario : Guy Nattiv. Avec : Jamie Bell, Jamie Macdonald, Vera Farmiga, Bill Camp, Mike Colter, Louisa Krause, Jenna Leigh Green et Mary Stuart Masterson. Chef opérateur : Arnaud Potier. Musique : Dan Romer. Production : Oren Moverman, Jaime Ray Newman, Dillon D.Jordan, Guy Nattiv, Celine Rattray, Trudie Styler, Marie-Claude Poulin et Pierre Even. Format : 2,39:1. Durée : 118 minutes.
En DVD, Blu-ray et VOD le 3 décembre 2019.
Copyright photo de couverture : DR.
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