La légende chinoise de Mulan n’est plus un secret pour grand monde à l’ouest de la Grande Muraille depuis l’adaptation cinématographique très réussie de 1998 produite par les studios Disney. Qu’en est-il de ce remake en live action porté par une jeune « inconnue », Liu Yifei, qui subit plus qu’elle ne rejoue le destin « dramatique » du personnage que la cinéaste Niki Caro (La Femme du gardien de zoo, 2017) lui a sans doute proposé de défendre avec les meilleures intentions du monde ? Mesdames et messieurs, le plus grand studio de cinéma au monde vous présente un nouveau « navet » pur jus à vous tordre les boyaux jusqu’à l’occlusion intestinale…

MULAN, PREMIER GRAND CRU

Après le soporifique La Belle et La Bête (B. Condon, 2017), la photocopie en images de synthèse du Roi Lion (J. Favreau, 2019) et le ridicule Aladdin de Guy Ritchie (2019), Disney continue sans gêne aucune de revisiter quelques-uns des chefs d’œuvre de l’animation traditionnelle. Non contente de prendre ses ouailles pour des poules amnésiques en lançant cette année sa plateforme sans grand contenu original, la firme s’attaque au 54e titre de son catalogue, Mulan, quitte à en payer le prix (voire les intérêts). Il y a bien longtemps que la machine à rêver s’est enrayée, cédant sa place à une vulgaire petite entreprise de recyclage digne de nos plus sombres cauchemars. Mais avant de se pencher davantage sur le cas de cet énième remake, revenons peut-être à Mulan, version « originale ». Le grand cru 1998 clôture la fin des grandes années du dessin animé d’animation, genre sur lequel les studios Disney régnèrent en maîtres incontestés tout au long d’une décennie ponctuée de rendez-vous incontournables parmi lesquels La Petite Sirène (R. Clements et J. Musker, 1990), La Belle et la Bête (G. Trousdale et K. Wise, 1992), Aladdin (R. Clements et J. Musker, 1990), ou encore Le Roi Lion (R. Minkoff et R. Allers, 1994). L’expérience Mulan est celle des premières fois à bien des égards : première incursion de Mickey au cœur du Céleste Empire et première réalisation du tandem Barry Cook et Tony Bancroft. Le long-métrage bouleverse alors également les codes narratifs traditionnels de Disney en faisant de son héroïne une « femme forte », loin des princesses naïves auxquelles nous avait habité l’oncle Walt depuis Blanche-Neige (1937). Porté par un souffle épique, Mulan recèle quelques pépites dans son genre, dont d’excellentes séquences animées (l’attaque des Huns dans les montagnes enneigées), des chansons pour le moins agréables et un soupçon d’humour disséminé dans une poignée de gags et de personnages fantastiques, comme Mushu le petit dragon bavard et Cri-Kee le criquet porte-bonheur. Bref, les équipes à l’œuvre sur le métrage se montrèrent digne du savoir-faire de leur firme dans un dernier sursaut de créativité. Que reste-il donc de ce petit chef d’œuvre dans la version de Niki Caro ? L’histoire semble être approximativement la même. La Chine est en guerre avec les Huns, des envahisseurs venus du nord. Fa Mulan, fille aînée de Fa Zhou, un ancien soldat respecté, désormais vieux et malade, décide dans le plus grand secret de prendre la place de son père pour aller combattre en se travestissant, lorsque l’Empereur de Chine publie un décret mobilisant un homme par famille. Sur son chemin, Mulan bravera les affres de la guerre mais aussi les valeurs de son pays. Cette expérience la rendra plus forte et transformera la jeune femme innocente en une guerrière accomplie, adorée par son peuple et sa famille. 

© Jasin Boland/Disney Enterprises

© Jasin Boland/Disney Enterprises

MULAN, RETOUR DE FLAMME

Il y a du bon (peu) et du très mauvais dans ce nouveau Mulan. Le scénario, d’abord, certes foncièrement simpliste, se rapproche effectivement de la légende « historique », occidentalisant pour l’occasion son personnage principal, façon Jeanne d’Arc, en plus de lui affubler des mésaventures romantiques maladroitement ajoutées par les studios (Disney oblige). De nombreux éléments issus du dessin animé satisferont les amoureux de la première heure, Niki Caro se réservant le droit de modifier sensiblement certains éléments pour éviter trop de comparaisons sûrement fâcheuses avec le film de 1998. L’inexpressive Liu Yifei s’en va-t-en-guerre aux côtés d’une bande de soldats – identique au métrage d’animation – afin de contrecarrer les plans d’un « méchant » stéréotypé (comprenez : maléfique) qui s’apprête à semer le chaos dans l’Empire de Chine. Ce dernier personnage, pittoresque sur le papier, souffre lui aussi de l’interprétation qu’en donne l’insipide Jason Scott Lee – dont on se souvient encore sous les traits de Mowgli dans le live action avant l’heure du Livre de la jungle réalisé par Stephen Sommers en 1994. Sous couvert de moments de bravoure pour le moins bêtifiants, Mulan lorgne parfois plus vers la série B que vers l’épopée fantastique façon Seigneur des anneaux, sans prendre aucun risque pour satisfaire le plus grand nombre. Par souci de réalisme « folklorique », les scénaristes – au nombre de 4 ( !) – ont pris le soin de supprimer les chansons de la version originale, mais également la présence de Mushu et Cri-Kee, ce qui fera grincer bien des dents chez les aficionados. Car en effet, pourquoi les avoir effacés de l’histoire pour incorporer, triste compensation, une sorcière idiote aux pouvoirs surnaturels, Xian Lang, interprétée par Gong Li (2046, W. Kar-wai) ? 

Pire : l’entreprise réaliste se signe par un cuisant échec artistique. Aidée d’un budget plus que confortable (290 millions de dollars), Niki Caro se révèle tout simplement incapable de proposer la moindre idée convenable de mise en scène, desservie par des acteurs en roue libre et leurs dialogues d’une stupidité abasourdissante, des effets spéciaux d’un autre âge et une désastreuse bande originale de Harry Gregson-Williams, loin de la sublissime composition originelle de Jerry Goldsmith. Aux antipodes de son prédécesseur, moins dynamique mais également moins dense, ce retour de flamme – sans dragon – n’a décidément pas l’étoffe nécessaire pour perdurer et n’évite pas la case du « nanar de luxe ». Osons l’affirmer pour de bon : il n’y a décidément rien à sauver dans ce très mauvais remake qui ne parvient jamais à susciter la moindre émotion ou la moindre empathie pour son personnage éponyme, dans l’incapacité des équipes créatives à l’œuvre d’insuffler un quelconque intérêt à un scénario bien terne. A éviter, bien entendu !

© Derek Payne

Mulan (2020 – États-Unis, Canada et Hon Kong) ; Réalisation : Niki Caro. Scénario : Lauren Hynek, Rick Jaffa, Elizabeth Martin et Amanda Silver. Avec : Liu Yifei, Donnie Yen, Gong Li, Jet Li, Jason Scott Lee, Yoson An, Tzi Ma, Ron Yuan, Rosalind Chao, Pei-Pei Cheng, Xana Tang, Jun Yu, Chen Tang (III), Doua Moua, Jimmy Wong, Nelson Lee, Uktarsh Ambudkar et Chum Ehelepola. Chef opérateur : Mandy Walker. Musique : Harry Gregson-Williams. Production : Chris Bender, Tendo Nagenda, Jason Reed, Jake Weiner, William Kong, Barrie M. Osborne, Tim Coddington et Mario Iscovich – Walt Disney Company. Format : 2.39:1. Durée : 115 minutes.

Disponible sur Disney+ le 4 décembre 2020.

Copyright photo de couverture : Walt Disney Company/Ringer illustration.