Disponible depuis le 16 mars en Blu-ray / DVD dans une édition collector, L’Extravagant M. Deeds est un conte de fées moderne à la gloire de Gary Cooper, dans lequel ce dernier joue le rôle de… Cendrillon. Plongée dans un récit merveilleux : celui de l’Amérique tel que la rêve Frank Capra.
MY FAIr GARY
Mr Deeds, c’est l’histoire d’un homme simple, Longfellow Deeds (Gary Cooper), gentiment déluré, poliment farfelu… mais pas plus qu’un autre, à bien y réfléchir. Le récit de la fortune dont il va hériter, sans rien avoir vu venir, appartient à l’archétype ancestral du rags to riches, « de la misère au luxe » : un héros modeste accède à la richesse, s’extrait de son milieu, le tout avec éclat. De multiples figures littéraires s’inscrivent dans cette tradition, comme par exemple Sir Gareth, garçon de cuisine accédant à la dignité de chevalier, dans les récits de la Table Ronde. Ce motif vaut également pour des modèles de réussite bien réels et donnant lieu à des personnalités à la mode, dans ces années 1930 ; ainsi, Joan Crawford, qui est, avec une certaine Greta Garbo, l’actrice la plus en vue du moment pour ses rôles, entremêle rêve et réalité en interprétant des rôles de jeunes femmes besogneuses qui, grâce à leurs efforts, finissent par rencontrer la fortune. Capra, lui, va appuyer sur l’accélérateur : l’ascension méritocratique péniblement acquise n’est pas ce qui va l’intéresser, mais bien plutôt comment son héros va vivre sa nouvelle position sociale, comme dans les contes.
Ce lieu commun traditionnel avait tout pour plaire à un public américain, avide de success stories, et ce avec une remarquable constance tant du côté du public que de la critique : pensons aux succès oscarisés que seront des décennies plus tard My Fair Lady (G. Cukor, 1964), ou, du côté masculin, celui d’un Rocky (J. G. Avildsen, 1976). Face au marasme du quotidien, le cinéma, nouvel art de masse, populaire s’il en est, se doit de vendre du rêve, du moins le temps d’une séance. Capra n’est pas un débutant en la matière : dès 1929, pour ses véritables débuts dans le parlant, The Younger Generation proposait déjà une comédie romantique inscrite dans ce thème du rags to riches. L’œuvre de la maturité, It Happened One Night (New York-Miami, 1934) s’inscrit elle également dans le contexte de crise économique, à travers le picaresque de la fuite éperdue de deux héros souhaitant tous deux échapper à leur sort, des sorts pourtant bien différents.
Longfellow Deeds doit sa richesse soudaine à un héritage imprévu, et non à une entreprise florissante élaborée de ses propres mains. Deeds n’en est pas moins un homme à tout faire, déployant son énergie tant pour le collectif que pour l’individuel, à travers son engagement du côté des pompiers, de l’orchestre local au tuba, et dans ses poèmes sur les cartes de vœux ; il a un sens des affaires redoutable, comme le découvriront, à leurs dépens, les profiteurs de la première heure. Son bon sens populaire aux accents parfois virilistes car bagarreur, ses racines, lui font concevoir les affaires économiques new-yorkaises comme celles de sa propre maison, ce qui est le sens propre du mot « économie ». Ce même bon sens hérité de ses origines sociales, sa confiance en l’égalité des chances de la méritocratie américaine expliquent également son rejet des conventions aristocratiques à l’européenne, comme lorsqu’il demande à son majordome de ne plus jamais se mettre à genoux devant lui. Ce bon sens, tapi dans un être faussement naïf, cache une véritable finesse, qui s’inscrit en partie dans la lignée de la rouerie picaresque de Clark Gable face à Claudette Colbert dans New York-Miami : sa ruse longtemps retenue lui assurant, in fine, de se frayer un chemin au beau milieu du procès, au sens propre, que lui fait la bonne société.
Deeds, malgré sa débrouillardise, dépend d’une richesse fruit d’un héritage familial mais, paradoxalement, malgré ce capitalisme intra-familial, il ne dispose d’aucun des codes socio-familiaux de la bonne société. Ce décalage le rapproche davantage de la figure du nouveau riche, un parvenu qui ne sera jamais complètement intégré aux hautes sphères de l’élitisme mondain. Il lui manque en effet le pedigree, la légitimité induite par les traditions de la bonne société ; le foie gras pour Deeds ? « Une chose qui a un goût de savon ». Malgré l’ascendant pris par ses contempteurs, Deeds, suivant les études sociologiques relatives aux nouveaux riches, va précisément défier ces conventions, pour mieux les redéfinir, tout en conservant, du fait du rejet dont il fait l’objet de la part de sa nouvelle classe sociale, des liens forts d’identification avec sa classe d’origine. Le nouveau riche, là encore à l’image de Deeds, ne se définit pas par l’entre-soi économique, la promiscuité avec le politique et la sophistication culturelle, mais bien par son ouverture, le rendant plus sensible aux enjeux de justice et de liberté civile. Deeds paraît même être accablé du Sudden Wealth Syndrome (syndrome de la richesse soudaine), désignant chez les néo-millionnaires le fait de se sentir écrasé par le poids des enjeux liés à une fortune subite ; ceci explique peut-être ses velléités de fuite, dès le début, lorsqu’il cherche à tout prix à marcher seul, ou, de manière tout aussi comique, sa propension à mettre dehors ses invités, y compris ceux qui estimaient le temps d’une soirée lui ouvrir grands les portes de sa « carrière sociale »…
Heureusement, dans le monde de Capra, les blocages ne sauraient arrêter le véritable héros : l’optimisme débordant l’emporte toujours, et la réussite n’appelle que la réussite. Plus qu’un nouveau riche, Mr. Deeds est donc un homme nouveau : une élite de fraîche date, première d’une nouvelle lignée, apportant un souffle d’air bienvenu aux classes aisées new-yorkaises. La vision satirique, à l’européenne, de ce nouvel arrivant, perçu comme un « paysan parvenu » dont on se moque comme chez Marivaux, ne tient pas, y compris dans le cœur de la journaliste cynique, qui l’emporte sur l’esprit. De Marivaux, Capra ne retient finalement que le marivaudage amoureux. Pour le réalisateur, cet homme nouveau n’est pas une simple fable s’inscrivant dans un motif artistique traditionnel ; nulle trace non plus des mirages de la méritocratie, finalement illusoire, pérennisant la stabilité sociale, car ne concernant que quelques rares individus comme autant d’exceptions. Bien au contraire : Capra montre que la réalité vaut la fiction, et que des personnages mythifiés comme Mr. Deeds ont d’autant plus de consistance qu’ils peuvent à tout moment émerger du plus modeste des villages… à condition d’être américain.


Un conte de l’Ouest
Ce qui fait la jonction entre le Grand Poucet Cooper, figure enfantine de contes de fées, et le réalisme new-yorkais, c’est bien dans le film la notion de rêve américain. L’expression même est devenue populaire peu avant le film, en 1931, grâce à l’auteur J. Truslow Adams, dans un monde de crise économique où tous les contes méritocratiques sont bons à prendre.
Le rêve américain touche certes au désir d’abondance, mais ce n’est pas la société de consommation nouvelle qui intéresse particulièrement Capra : c’est son aspect de rêve démocratique qui le fascine, un rêve d’un accès égal à la dignité de citoyen, bien loin des normes aristocratiques du vieux monde. Longfellow Deeds incarne, poussé jusqu’au bout, l’exceptionnalisme américain, ce désir de liberté et de poursuite du bonheur ; un désir qui le conduit à enfermer ses propres gardes du corps, afin de se retrouver sans contraintes. Sa tirade lors de la scène du procès est à ce titre exemplaire, lorsqu’il affirme que le peuple américain est à l’image des voitures : malgré la même essence, certaines parviennent à monter la colline de la réussite, d’autres pas, et ceux qui réussissent devraient par conséquent s’arrêter pour aider les autres. Associer l’Américain à sa voiture est d’une actualité qui ne se dément pas… Le modèle US de la philanthropie capitaliste non plus : le bon riche est à la fois besogneux et généreux, un citoyen avant tout.
Tandis qu’un Steinbeck ou un Fitzgerald dévoilent la part obscure de ce rêve, Capra le prend très au sérieux, dans toute sa dimension politique. Capra ne plaisante pas avec le rêve américain : il ne fait pas de la candeur de Deeds un ressort humoristique varié. En bon républicain conservateur, opposé à l’intervention de l’État y compris au cœur de la Grande Dépression, le ressort humoristique du film, à savoir la candeur de son personnage principal, devient rapidement célébration de l’individualisme : quand Deeds suffoque face au poids du collectif, il fuit ou se mure dans le silence. Capra a veillé à tourner une nouvelle version de l’ouverture du film, celle que l’on connaît, pour précisément éviter toute confusion dans la lecture du propos, le film disposant initialement d’un ton plus léger : les aventures de Mr. Deeds ne doivent pas être perçues comme une simple comédie. Comme souvent chez Capra, le héros est individuel et, à l’inverse, l’individu est un héros, exemplaire, quand le collectif est oppresseur. Le mantra légué par son père à « Babe » Bennett, le personnage interprété par Jean Arthur, s’inscrit dans cette logique : « Quoi qu’il arrive, ne te plains pas ». Il faut compter sur ses propres forces.
Si Les Raisins de la colère, qui, précisément, prennent le parti du collectif, sonne comme un requiem pour un American dream, Mr Deeds en est le pendant mythifié, sonnant plutôt comme un mémorial en l’honneur des valeurs états-uniennes. Longfellow Deeds ne rêve-t-il pas, en découvrant New-York, de découvrir le tombeau du Général Grant, héros de la Guerre de Sécession, héraut à ses yeux de l’exceptionnalisme américain, un tombeau devant lequel il récitera, de manière signifiante, les propos de Lincoln relatifs à la « naissance d’une nation » ? Un tombeau que les new-yorkais représentés dans le film, plus new-yorkais qu’américains, semblent eux-mêmes ne jamais avoir visité ? La suite initialement prévue, Mr. Deeds Goes to Washington, le futur Mr. Smith goes to Washington (M. Smith au Sénat, 1939), n’aurait fait que creuser l’angle patriotique esquissé par Capra : il suffit de songer à un autre mémorial, celui de Lincoln, et l’émotion pleine de candeur éprouvée à sa vue par James Stewart, pour s’en convaincre. Tandis que Smith montrera l’individu surmontant la corruption politique pour mieux revivifier le système démocratique, Longfellow Deeds s’attaque à l’autre face du même problème : le volet social, voire sociologique, à savoir comment le rêve américain peut être revivifié dans une société où les élites semblent désireuses de le tourner en dérision afin d’asseoir leur légitimité.
Le public américain de 1936 goûtait ces illusions, perdues dans la réalité mais recherchées dans l’art, du fait de la période troublée dans laquelle s’inscrit le film : celle de la Grande Dépression, cette crise économique dévastatrice. Cette « maladie américaine », pour reprendre le titre d’un film antérieur du même réalisateur (American Madness, 1932), agit comme un sombre arrière-plan, derrière une histoire empreinte d’optimisme. Au cours du film, les paysans pauvres, les chômeurs, se placent définitivement du côté de Deeds, perçu comme l’un des leurs, du fait de la situation sociale des plus humbles qui était la sienne avant l’accès à la fortune, une situation sociale, qui plus est, qu’il regrette, face aux vautours des hautes cimes new-yorkaises. Face au désespoir d’autrui, Deeds se démène pour aider son prochain. Comme le rappelle le thème musical du film, Longfellow Deeds ne sera jamais d’une haute bourgeoisie imperméable au monde qui l’entoure : il demeurera un gars simple, un chic type, un jolly good (Long)fellow célébré par les siens, y compris lors de ses triomphes juridiques futurs. La magnifique scène de son départ en train le montre comme un personnage entouré, jamais seul, pas pressé, tout le contraire de feu son oncle à qui le contraire, solitude et vitesse, n’a pas réussi…
Malheureusement, tout dans le film ramène le portrait d’un tel destin si exceptionnel et si profondément américain au lexique du conte de fées. Longfellow Deeds et son ascension subite est si nettement associé au merveilleux que les autres personnages le qualifient comme tel : le surnom de Cinderella Man, Cendrillon fait homme (qui a dit « Cendrilleux » ?) vient en permanence rappeler le décalage opéré par le film entre ce personnage fabuleux et le monde bien réel dans lequel il évolue ; un décalage qui a failli donner, via ce surnom, son titre au film. Le surnom est perçu comme une marque de mépris dans le film, comme si le rêve de jours meilleurs était tout aussi naïf que le personnage qui l’incarnait. Les références à l’univers des contes passent par de discrets rappels réguliers au cours du film : il suffit de mentionner la une du journal comparant Deeds dans ses frasques à un « ogre mangeur de feu », ou bien l’amie imaginaire que confesse fréquenter Deeds… Une véritable marraine la fée.
Deeds n’est pas un self-made man. S’il a réussi, c’est purement en raison d’un hasard un peu magique… et de ses attaches familiales. Finalement, son histoire peu ordinaire met en valeur le fait que la réussite des humbles, dans l’Amérique des années 30 (comme d’aujourd’hui), est davantage l’exception que la règle. Longfellow Deeds, c’est le rêve américain, mais le rêve américain n’est peut-être, comme lui, qu’un conte de fées.


Amérique et vieilles dentelles
Le rêve américain ne peut s’incarner dans toute sa pureté dans les grandes villes à l’européenne : il n’est pas étonnant que Deeds provienne alors d’une petite ville reculée du terroir américain, Mandrake Falls, une vision rêvée de l’Amérique profonde, un village si fabulé… Qu’il n’existe pas en réalité.
La ville en tant que lieu corrupteur est un archétype artistique qui rejoint une lignée cinématographique déjà riche : que l’on pense au Greed (1924) de Von Stroheim, ou à Sunrise (1927) de Murnau, d’autres films qui, comme Mr Deeds, sont réalisés par des Européens partis vivre leur rêve américain. La ville est le lieu de tous les dangers, où des groupes sociaux élitistes bien constitués campent sur leurs acquis et jugent avec condescendance et sarcasme l’Américain moyen. Tout l’inverse d’un Longfellow Deeds, lequel ne maîtrise qu’un salubre premier degré, proche de la vraie humanité, une humanité qui se serait égarée avec l’urbanité et sa sophistication. Dans une lecture très rousseauiste, la bonté lui est naturelle ; quand l’humanité peut s’exprimer sans fard, il ne saurait y avoir de conflits, la bienveillance humaine l’emportant toujours dès lors que l’on prend du recul sur la corruption contemporaine des mœurs. Sa dimension rousseauiste prend des accents comiques, par ailleurs, quand, ivre, Deeds en appelle à retrouver la nudité originelle, les vêtements n’étant qu’un des fards qui « nuisent à la civilisation »…
L’opposition ville/campagne est clairement au cœur du film : les habitants de Mandrake Falls sont perçus comme des « autochtones » par les urbains, leur manière de ne pas répondre aux questions et de vaquer à leurs occupations avec un sérieux consommé hérisse les new-yorkais ; leur propension à une bienveillante simplicité s’affiche fièrement, à travers un poème écrit à l’entrée du village. Réciproquement, Deeds le reconnaît lui-même lorsqu’il se prend à sermonner ses hautains interlocuteurs urbains, il est à New-York à l’image d’un citadin à Mandrake Falls : dénué des « bonnes manières » adéquates. Les poncifs critiques de la vie urbaine prennent corps en Deeds, quand il déplore que les New-Yorkais « s’efforcent tant de vivre qu’ils oublient comment vivre », citant le poète Thoreau pour mettre en exergue que ces citadins ont « créé des palaces mais ont oublié de créer les nobles pour les habiter ». Le personnage de Jean Arthur même tiendra des propos similaires quand Deeds lui aura dessillé le regard : le propos, politique, du héros fait des émules. « Babe », convaincue, en viendra à jouer du tambour sur une poubelle pour suivre le grain de folie de Deeds, et reconnaîtra avoir eu un doute au sujet de Longfellow : « homme entier et naïf » qui, aux yeux d’un new-yorkais, « ressemble à un monstre ». Quand à New-York un héritage fait frémir toute la ville, et que l’envie universelle en découle au point de corrompre même ses amitiés, Deeds se contente de remarquer que, tant d’argent, « ça fait beaucoup » et qu’il n’en a pas besoin. Quand il veut le distribuer, les urbains le pensent imbécile ; demeurer au contact des siens lui importe davantage, reconnaissant avec émotion, lors de son départ auquel il semble participer en tant que tiers, anonyme dans la fanfare : « Bon sang, j’ai beaucoup d’amis ».
Sans parler des personnages associés à l’urbanité que sont le psychologue ou les lettrés, dont le discours savant est une simple velléité de discréditer la simplicité, les journalistes en prennent pour leur grade dans le film, annonçant d’autres critiques de la presse sur grand écran, comme par exemple dans Le Gouffre aux chimères (B. Wilder 1951). Symboles satirisés, représentatifs à l’extrême de la corruption urbaine aux yeux de Capra, les journalistes sont prêts à faire leur une sur une sieste de Deeds, à déformer jusqu’à son genre même pour un bon mot (Cinderella man), écrivant sur lui jusqu’à ce que le public soit lassé. Certains échanges du film sont très représentatifs de la critique adressée au Quatrième pouvoir américain : « Vous ne croyez pas à toutes ces choses dans les journaux ? », « Ils le font pour vendre », « Ce qui m’étonne est que les gens prennent du plaisir à dire du mal des autres ». Les Républicains d’hier comme d’aujourd’hui se reconnaîtront dans ces poncifs. « Babe » Bennett critiquera elle-même, dans une tirade moralisatrice, le « point de vue déformé » des journalistes. Homme du peuple, c’est par le peuple qu’au tribunal Deeds sera défendu, dans une communion retrouvée avec une presse épurée de son cynisme. Vœu pieux d’un réalisateur tout aussi optimiste que son personnage.
La dernière partie du film, le procès de Deeds, deviendra par conséquent le procès des élites urbaines contre la simplicité rurale. Témoigneront contre lui une chanteuse d’opéra imbue de sa propre importance, un grand cabinet d’avocat éconduit, manipulant de vieilles dames bien innocentes… Un procès au cours duquel l’a-normalité du héros, c’est-à-dire son inconvenance face aux normes, est mise en avant. « Babe » comprendra parfaitement que ce procès est, comme elle le dit elle-même, une « crucifixation » ; par ce choix de mot, elle fait de Deeds une figure christique, un rédempteur venu sauver l’Amérique urbaine, une Amérique qui refuse de reconnaître son sauveur.
Heureux sont les (faussement) simples d’esprit, chez Capra ; pensons par exemple à You Can’t Take It with You (Vous ne l’emporterez pas avec vous, 1938). Les personnages urbains, matois et en même temps positifs sont rares : l’homme à tout faire Cobb est une exception éclatante dès le départ car, généralement, la carapace sociale des citadins finit par céder au contact des héros à la Capra après avoir résisté. En effet, la simplicité du protagoniste à la Capra s’épanouit dans le terreau des petites villes, ces véritables descendantes des pionniers et de leur esprit, villes qui sont l’espoir de salut des métropoles pécheresses, les racines d’un fruit qui sinon pourrirait. Les « vrais » américains, comme Longfellow Deeds, sont donc ceux qui sont restés connectés à la terre, à cette terre d’opportunités, quand les grandes villes à l’européenne, pour ne pas dire dépravées, ont tendance à oublier ces valeurs. Capra n’a pas à beaucoup forcer son tempérament « vieux continent » : ses origines rurales italiennes expriment un attachement très naturel à son propos. La ville de Mandrake Falls est au croisement des souvenirs d’enfance de Capra et de l’Amérique rêvée, devenant grâce au film la représentation iconique de la petite ville états-unienne, aux valeurs rurales simples et sans fioritures, là où le rêve américain réside véritablement, loin de la sophistication urbaine. L’inexpérience mondaine de Deeds, celle du petit peuple, est une forme à part entière d’intégrité, qui ne peut que l’emporter face au procès intenté par la bonne société. Il n’est pas innocent que ce motif si hollywoodien du film à procès soit précisément exploité dans le film pour opposer un héros, innocent, au jugement de ses contempteurs : pas d’avocat brillant en guise de personnage central, ici, mais un individu qui, grâce à ses propres ressources personnelles, va retourner la tribune à son avantage. Le tribunal devient une tribune.
Un autre titre envisagé par Capra était A Gentleman Goes to Town : cela eût assuré un lien plus explicite avec le titre de la nouvelle qui a inspiré le film, Opera Hat. Ce terme désigne un gibus, soit un chapeau haut de forme, un titre qui met l’accent sur l’ascension sociale, quand le titre de Capra choisit davantage de forcer l’opposition entre la ville et la campagne. Si M. Deeds va en ville, le sous-entendu est que cela n’est peut-être que transitoire, et que le moteur narratif du film sera la découverte d’un milieu, davantage que son intégration à celui-ci, et un choc entre deux mondes, forcés subitement de coexister.
Car, oui, ces mondes peuvent en effet coexister, du moins en Amérique. Capra est l’exemple parfait du fossé profond qui oppose le pessimisme du cinéma européen des années 1930 et l’optimisme d’Hollywood. Tandis que sur le Vieux Continent, la bourgeoisie s’autodétruit au travers d’une codification mondaine qui n’est qu’un pâle vernis apposé sur des pulsions mortifères, comme par exemple dans La Règle du jeu (J. Renoir, 1939), la ville et la bourgeoisie, chez Capra, n’entraînent pas Longfellow Deeds dans une chute. Bien au contraire : Deeds, au final, n’est pas une victime. Il ne va pas être contaminé par des milieux passéistes et maniérés : messianique, c’est lui qui va miner l’esprit citadin de l’intérieur. Il restaure les élites, ou, pour être plus exact, les revivifie, en les reconnectant avec leurs racines. Pour J. Truslow Adams, le « rêve américain » qu’il conceptualise est malaisé à comprendre pour les élites européennes ; de fait, Capra le montre, les Américains rêvent encore, pendant que les Européens étudient chirurgicalement leur cauchemar, et leurs conflits autodestructeurs sous couvert de fierté nationaliste, une fierté qui n’est qu’une « grande illusion », dirait Renoir.
Dans les années 1930, Capra figure parmi les réalisateurs les plus puissants d’Hollywood, engrangeant trois Oscars du meilleur réalisateur. Dès Mr Deeds, il sait mettre sa célébrité au service de l’idéal américain, d’une Amérique qui, finalement, est un mythe comme un autre.


I wish I was a Pixie…
A travers Mr. Deeds, Capra tente de donner figure humaine au rêve américain. Pour enraciner son personnage et en faire un homme nouveau puisant ses forces dans l’ancien, Capra décide d’ancrer sa connaissance même de la langue anglaise dans un provincialisme nouveau monde, un parler de terroir qui mériterait de redevenir de mode.
Et cela a fonctionné. Le régionalisme pixilated est une des stars de ce film, le mot apparaissant, dans une scène centrale du film, dans la bouche de deux sœurs âgées, un duo de vieilles dentelles au jugement à prendre avec des pincettes. Sa signification est expliquée dans le film : pouvant se traduire, dans un usage vieilli, par « éméché, pompette » (un sens qui peut très bien s’appliquer à Deeds suite à la nuit endiablée qu’il vivra auprès d’un artiste), il désigne une personne farfelue, fantasque, excentrique ; une caractérisation du personnage qui manifestement a eu les faveurs, pour le titre, de la traduction française. Comme l’affirment les vieilles locataires de Longfellow Deeds, certes, l’intéressé a un grain de folie, mais, plus généralement, tout le monde a un tel grain dans ses tics. Le public, qui perçoit dès son apparition le personnage de Longfellow Deeds comme un original, à travers sa passion pour son tuba, se voit contraint de s’interroger sur cet élément comique qui, finalement, n’en est pas vraiment un : l’absurdité dont on rit devient un élément de la nature humain devant lequel on réfléchit.
Du point de vue de l’étymologie, le mot pixilated est un mélange entre « titillated » (émoustillé, titillé) et, comme l’indique un personnage, « pixie ». Pixie est le nom d’une créature légendaire du folklore britannique : une sorte d’elfe, selon l’assertion tenue par un personnage, un lutin ou une fée espiègle. En langage familier, hasard ou pas qui peut également convenir au personnage de la journaliste, le mot désigne une jeune femme séduisante aux cheveux courts. Les pixies, à l’image de Deeds, ne sont clairement pas des créatures urbaines, connaisseurs de la nature et familiers de lieux anciens. Clairement pas des esprits malins, ces pixies sont une espèce non menaçante, voire attirante pour les humains issus d’anciens villages, expliquant peut-être que l’origine rurale de « Babe » se retrouve séduite ; ce ne sont pas pour autant des créatures particulièrement bénies, tout comme l’héritage de Deeds s’apparentera vite à un fardeau. Leur apparence enfantine, sans âge, peut également être rapprochée de la naïveté du personnage, tout comme le fait qu’elles vivent dans des recoins de nature proches des temps anciens et, race primitive, de la candeur originelle ; comme ces créatures, Deeds aime danser et… se battre. A leur image, il peut être très négligé dans sa tenue, voire quasi nu, quand il rentre, après avoir trop bu, d’une soirée arrosée. Les pixies, par leur présence, apportent des bénédictions à ceux qui les aiment ; Deeds, tout en restant en cohérence avec ce programme, est un bienfaiteur invétéré, n’hésitant pas, du fait de son amour des humains comme dans le mythe, à distribuer sa fortune pour le bien commun… y compris celui des animaux : comme les pixies, il semble en effet attiré par les chevaux. Espiègle, Deeds comme les pixies font ce à quoi les autres ne s’attendent pas, et son imprévisibilité, comme celle des créatures, est un signe de bénédiction collective : de vraies fées Clochette cendrillonnantes, à mi-chemin entre Perrault et Peter Pan.
La magie de Deeds s’enracine donc dans une féerie culturelle, perceptible dans la langue même, vive, originale et originelle, des villages américains.


Yankee Doodler : l’invention de Gary Cooper
Un personnage nommé Longfellow ne pouvait que correspondre à merveille au longiligne Gary Cooper, « premier, dernier et unique choix » de Capra pour ce rôle, à en croire ce dernier. Il faut dire que le réalisateur sait parfaitement s’y prendre pour jouer avec la figure de l’acteur telle que constituée en 1936, tout en construisant sa légende future. Mr Deeds, c’est voir en direct Gary Cooper inventer le mythe Gary Cooper ; les Oscars ne s’y sont pas trompés, son interprétation lui valant sa première nomination.
Cooper, en 1936, c’est à l’écran un personnage de séducteur, ouvert aux unions les plus libres (Design for living, 1933), et un sex-symbol qui n’en aime pas moins les femmes à la personnalité affirmée, tournant trois films avec la célèbre « garçonne » des années 1920 Clara Bow, en couple à la ville. Capra, qui aime à se présenter comme un créateur de figures fortes et identifiées, répétait, possiblement avec mauvaise foi, qu’il était celui qui avait inventé le personnage si iconique d’Harry Langdon à l’époque du muet : un personnage empreint de folie mais parfaitement innocent, évoluant dans un monde corrompu. Ce modèle lui servira, en surimpression, pour être collé sur la figure de Cooper, qui se laissera parfaitement modeler.
Avec Mr. Deeds, Cooper quitte le champ de la séduction, qu’elle soit aisée ou contrariée, pour devenir à l’écran l’incarnation de l’américain au grand cœur, celui qui est décrit par Hemingway avec les mots suivants : « Coop est un homme bien ; aussi honnête, droit, aimable et intègre qu’il le paraît. Si on inventait un personnage comme Coop, personne n’y croirait. Il est juste trop bien pour être vrai ». Loin de ses rôles d’aventurier triomphant (qu’il retrouvera bien vite par ailleurs) et de jeunes romantiques, il apparaît à l’écran fragile, délicat, enfantin, rayonnant de toute sa candeur.
Dans Mr. Deeds, Cooper parvient également à puiser dans son propre parcours une matière propice à créer des merveilles d’écriture. Ainsi, en 1923, Gary Cooper gribouille : son rêve est alors de devenir dessinateur dans le monde de la publicité. En 1936, avec Mr. Deeds, il évolue dans un univers de conte gribouillé, chancelant du fait des rapports de force sociaux, mais retournant son amour du dessin à l’avantage de son personnage. En effet, lors de la séquence du procès de Deeds, sa défense s’appuie sur le mot doodle : le mot désigne un gribouillage, originellement celui d’un politicien qui lambine dans son bureau à ne rien faire, aux frais des contribuables… mais, parfaitement en accord avec la psyché du personnage, le sens premier du mot désigne un benêt, un simple d’esprit (d’où la chanson du colon britannique Yankee Doodle pendant la guerre d’indépendance), avant de finir par désigner également quelqu’un qui fait l’imbécile, le côté « extravagant » de Mr. Deeds. Le mot doodle va acquérir sa renommée, non démentie jusqu’à aujourd’hui, grâce à ce film, qui popularise son acception de « gribouillage ». Deeds explique lui-même cette signification au juge, lequel ne l’avait jamais entendue : « C’est un mot qu’on a trouvé chez nous pour décrire quelqu’un qui fait des croquis ridicules sur du papier en réfléchissant », « Les gens dessinent les dessins les plus idiots quand ils réfléchissent ». La postérité acquise par le mot doodle doit beaucoup au fait que ce gribouillage, pratiqué dans sa jeunesse par Gary Cooper, devient un symbole dans le film, une métonymie à part entière d’une vérité propre à la nature humaine : tout le monde a ses tics qui le rendent nécessairement « extravagant » aux yeux de quelqu’un, tics que tout le monde essaie de cacher au nom d’une prétendue normalité.
Gary Cooper a touché juste le cœur de l’Amérique et d’ailleurs. L’intéressé ne s’y trompait pas, voyant Mr. Deeds comme sa meilleure prestation, complètement à l’inverse du blasé qu’il sera dans Love in the Afternoon (Ariane, 1957), de l’âne bâté luxurieux de Bluebeard’s Eighth Wife (La Huitième femme de Barbe-Bleue) moins de deux ans plus tard : dans Mr Deeds, l’inversion des rôles est patente, car Barbe-Bleue, ici, c’est Jean Arthur. Cooper apparaît en Mr. Deeds plus proche de son chef d’œuvre High Noon (Le Train sifflera trois fois, 1952), dans lequel sa détermination initiale se heurtera à une fragilisation progressive, et où l’ex Mr. Deeds devra faire face au rejet d’une itération froussarde de Mandrake Falls, une version dystopique dans laquelle l’individualisme a triomphé et où plus personne n’envisage le village comme une communauté. Dans Mr Deeds, les différents Gary Cooper se côtoient en une seule figure, celle de Longfellow : le futur Barbe-Bleue tutoie pour l’instant Cendrillon.
Le public reconnaît en Cooper ses valeurs, et tout simplement apprécie le voir à l’écran : aussi, trois ans après Deeds, il est déjà le plus gros salaire de l’industrie, brillant par son jeu sobre, un jeu qui s’accommodait manifestement très bien de la liberté d’improvisation conférée par la méthode Capra, qui n’aimait rien moins qu’arriver sur le plateau avec seulement les grandes lignes des scènes à tourner. Comme quoi, Cooper n’était pas le seul à apprécier gribouiller.


Lady for a Day
Comment ne pas mentionner, pour terminer, l’influence d’un genre bien d’époque pour expliquer la réussite esthétique du film : la screwball comedy ?
Mr Deeds est considéré par certains comme l’un des premiers films appartenant à ce sous-genre de la comédie. Il s’agit de films légers, romantiques, de l’époque de la Grande Dépression, où l’histoire d’amour elle-même se voit bousculée dans ses codes et représentations ; le personnage féminin devient un personnage dominateur, comme le sera, par excellence, Katharine Hepburn dans Bringing Up Baby (L’Impossible M. Bébé, 1938) face à Cary Grant. Dans la screwball comedy, en plein âge d’or depuis le Twentieth Century (1934) d’H. Hawks, l’homme est privé peu à peu de tous les repères de sa masculinité viriliste à l’écran, au fur et à mesure que ses repères de genre étroits s’effondrent, au profit d’une bataille des sexes où tous les coups sont permis, du moment que la moralité sexuelle et la normalité des genres hétérosexuelle l’emporte à la fin. Le mâle hollywoodien y trouve l’occasion de devenir, pour reprendre le titre d’un film de Capra, une Lady for a day. Il n’est pas innocent, à ce titre, que le fermier qui postule pour un terrain, auprès de Deeds, s’adresse à lui en l’appelant « madame »…
La screwball comedy est par excellence un genre urbain : on s’y moque au second degré de la répartition genrée traditionnelle des histoires d’amour, encore par trop dépendante de la vision simpliste qui prévaut dans les contes de fée. En cela, Mr Deeds ne relève pas à proprement parler de la screwball, n’en possédant pas non plus le rythme échevelé conféré à un humour fou. Le film s’avère bien plutôt une comédie romantique traditionnelle, modernisation d’un conte de fées, mais matinée d’éléments de la screwball comedy à la mode par le biais d’un Gary Cooper dénué des attributs de la virilité pour devenir un grand enfant, même s’il se fait parfois bagarreur au nom du bon sens populaire de la culture américaine contemporaine. Jean Arthur elle-même tire vers le genre de la screwball comedy en incarnant une femme qui n’est pas une dame en détresse mais qui, au contraire, de par sa force de caractère et son indépendance, est une menace pour le héros vieux-jeu. Elle finira même par devenir son chevalier servant, car ce sera elle qui le sortira du pétrin. A 36 ans, une incongruité dans l’industrie d’alors (et d’aujourd’hui…), Arthur connaît ici son premier rôle-titre de manière tardive mais reprend une figure éprouvée peu de temps auparavant : la journaliste de caractère, qu’elle interprétait déjà chez John Ford dans The Whole Town’s Talking (Toute la ville en parle, 1935). La demoiselle en détresse est bien loin : elle se contente, d’ailleurs, de singer cette figure pour mieux tendre un piège au crédule Deeds.
Car Longfellow rêve d’être un homme chevaleresque, mais tout dans son attitude détonne par rapport à cette représentation de l’homme viril dont il ne parvient pas à se départir ; n’avoue-t-il pas lui-même n’avoir jamais été en couple, prisonnier de ses aspirations chevaleresques dictées par une morale traditionnelle prise au premier degré, comme pour en montrer l’inanité littérale ? Pour autant, l’amour n’est pas ici tourné en dérision et les jeux de séduction (voire carrément sexuels) du chat et de la souris y sont absents. L’amour plein, entier (et monogame) triomphe toujours, chez Capra : il est inconditionnel, et le réalisateur ne cherche pas à le tourner en dérision pour mieux interroger ses soubassements sexuels, comme il tendait à le faire avec le plus « screwball » It Happened one night, via ses personnages plus voraces. Dans Mr. Deeds, seule « Babe » Bennett a la tentation de tourner en dérision les sentiments, et encore : bien vite, elle verra sa rouerie new-yorkaise purifiée au contact de Deeds, retrouvant les vraies valeurs des sentiments simples.
Si la screwball comedy met en scène des fuites en avant précédant des retrouvailles, Mr. Deeds représente plutôt la tentation d’une fuite en arrière, vers des sentiments plus simples, plus purs, plus terroir en somme. Là où le genre exige des réparties rapides et bien senties, un montage à tombeau ouvert, Capra apprécie particulièrement les longs plans fixes, voire les plans séquences ; la lenteur est également celle introduite par le personnage de Deeds dans ce milieu urbain, comme si Capra venait contaminer, voire détruire, à l’intérieur de son film, la tentation de la screwball comedy new-yorkaise, pour la ramener vers du plus traditionnel. Là où la screwball se vautre dans le baroque et le chaos par sa vitesse effrénée, Capra apprécie le classicisme, les plans léchés et le montage mis en ordre. Il faut dire que la dimension morale des films de Capra, relative à la bonté humaine, aux valeurs de l’altruisme et du travail acharné, se prêtent mal au cynisme de la screwball. Il apparaît davantage comme un précurseur de ce que l’on appellerait au XXIe siècle les feel-good movies, ces films de fantaisie bienveillante dans lesquels, comme le dirait Capra dans le titre de son film de 1946, « La vie est belle » (It’s a Wonderful Life). D’autant que ces fantaisies, à l’image de Mr. Deeds, forment la patte à contre-courant du réalisateur et lui assurent une belle récolte d’oscars. L’homme du peuple évoluant dans une intrigue mettant en exergue la fondamentale bienveillance humaine : d’autres sauront s’inscrire dans cette tradition, à commencer par le Spielberg des Rencontres du troisième type (1977).
Mr. Deeds, pour parodier un titre de Lubitsch, c’est le « fol ingénu », qui affronte une femme dominante, contrainte de se débattre contre la naïveté désarmante de son interlocuteur. Encore une fois, nous sommes bien loin de La huitième femme de Barbe-Bleue, où Gary Cooper se débattra, au contraire, contre un personnage féminin à la feinte naïveté désarmée.


Le Triomphe de la modestie
L’Extravagant M. Deeds sera le plus gros succès public de la carrière de Capra, sans même parler de l’adoubement critique dès l’époque. L’équipe du film elle-même n’en sera pas en reste : Jean Arthur accédera au rang de star ; Robert Riskin, scénariste fétiche de Capra, disait clairement que ce film était, des dix de Capra sur lesquels il avait travaillé, celui qu’il préférait. Gary Cooper reconnaissait en Longfellow Deeds sa meilleure prestation à l’écran.
Un tel triomphe est le signe que le film répondait parfaitement aux attentes de son époque. Ce récit de l’ascension d’un homme simple, qui devra faire face et à une société qui ne le reconnaît pas comme l’un des siens et à un personnage féminin qui jouera volontiers sur l’inversion des genres, est à la croisée des influences qui innervent les années 1930. Il montre bel et bien que le cinéma peut être populaire, représenter le populaire, et ne pas se départir d’une ambition artistique en même temps que morale. La naïveté est bien un credo régénérateur, adressé avec bienveillance au public d’hier comme d’aujourd’hui. Comme le dirait Deeds dans sa répartie la plus sémillante, prenant soudain un air paternaliste complètement hors de propos face à ses majordomes qui, à son contact, retrouvent leur âme d’enfant en jouant à faire des échos : « Que ça vous serve de leçon ! ».
L’Extravagant M. Deeds de Frank Capra est disponible en édition collector Blu-ray + DVD chez Wild Side.