Judy : Zellweger au secours de Garland

par

Judy movie artwork Pierre Mornet

Après le thriller psychologique inspiré de l’histoire du journaliste Michael Finkel, True Story (2015), Rupert Goold s’attaque de nouveau au genre du biopic en tentant de raconter les derniers moments de la vie de Judy Garland, star incontestée de l’âge d’or du cinéma américain. Le film est porté par l’interprétation sans faille de Renée Zellweger qui transcende le rôle-titre. Le résultat, confus, reste malgré tout maladroit, la faute à un scénario didactique qui s’emmêle les pinceaux entre deux flashbacks.

L’OMBRE DE GARLAND

Judy s’ouvre à l’hiver 1968, quelques mois avant le décès de l’artiste. Judy Garland, ex-enfant star de la MGM, célèbre Dorothy du Magicien d’Oz (V. Fleming, 1939), n’est alors plus que l’ombre d’elle-même. Hantée par son enfance perdue, sacrifiée pour le monde d’Hollywood, elle se trouve désormais dans l’obligation d’entamer une tournée à Londres pour éponger ses dettes et récupérer la garde de ses enfants. Judy mourra quelques mois plus tard, suite à une prise exagérément importante de barbituriques pour bien lamentablement apaiser son extrême et profonde dépression. La mise en scène élégante de Rupert Goold, lui-même passé par les classiques shakespeariens sur les planches et pour la BBC, permet au cinéaste de tisser une toile originale, parsemée d’émotions afin d’explorer les derniers moments « dramatiques » de la vie de Judy Garland. Le film repose avant tout indéniablement sur l’impressionnante prestation de Renée Zellweger dont l’aura outrepasse le cadre de l’écran. L’actrice incarne littéralement son personnage, allant même jusqu’à s’oublier dans un rôle pour mieux nous souvenir en retour de Garland. Judy revient à la vie sous les traits d’une actrice dont le corps devient un réceptacle pour un mythe hollywoodien créé voilà plus de cinquante ans. Parmi l’impressionnante galerie de seconds rôles, soulignons la formidable interprétation de Jessie Buckley, remarquée l’année dernière dans Wild Rose (T. Harper, 2019), qui campe ici Rosalyn Wilder, l’assistante personnelle de Garland, et surtout celle d’Andy Nyman qui interprète à merveille le rôle d’un fan de la star. La séquence de fin, lorsque Garland chante le célèbre « Somewhere over the rainbow » constitue bien évidemment le point d’orgue du film. Renée Zellweger s’y révèle bouleversante. C’est bien simple : la scène justifie à elle seule l’Oscar de la meilleure actrice. On regrette toutefois que l’histoire ne soit pas plus approfondie, pourtant écrite par Tom Edge (scénariste de la série The Crown) d’après la comédie musicale End of the Rainbow de Peter Quilter. Même si la mise en scène brille par son classicisme, le traitement de l’histoire, « vraie », reste absolument inattaquable dans ses intentions, montrant la détresse de cette femme usée par Hollywood. Cependant, le scénario s’avère bien trop programmatique – aucune surprise si ce n’est une soirée improvisée chez un couple homosexuel qui constitue la meilleure scène du film – et manque par moments de subtilité – on sent un peu trop le film calibré pour un très large public et les Oscars -, notamment dans son dénouement. On ne boude cependant pas le plaisir de se laisser bercer et toucher par ce mélodrame.

DANS L’OMBRE DE JUDY

Ça n’est pas un hasard : Rupert Goold se concentre sur les derniers feux de la carrière de Judy Garland, elle-même interprétée par Renée Zellweger, une autre actrice broyée, remâchée puis jetée en pâture aux lions par Hollywood. La dernière décennie n’a d’ailleurs pas été tendre pour cette dernière puisqu’on ne l’a que très rarement croisé à l’écran, rejoignant ainsi la longue liste des actrices quinquagénaires évincées du devant de la scène. La presse à scandale, l’irrévocable passage du temps et la chirurgie esthétique auront de plus suffisamment eu raison de Zellweger, devenue à son tour un fantôme « garlandien »… Reprendre le rôle d’une femme malmenée par la vie convoque étrangement à notre mémoire le souvenir d’une actrice pas tout-à-fait disparu donc, l’interprète de Bridget Jones, la girl next door des années 2000. La voici de nouveau rayonnante et resplendissante, couronnée d’un Oscar pour ce qui pourrait bien être le plus beau rôle de sa carrière. Osons le dire : Judy Garland a sauvé Renée Zellweger. Et Renée Zellweger a (presque) sauvé Judy Garland. Pour interpréter cette grande dame, Zellweger s’est donnée corps et âme au rôle. Rarement une actrice s’est autant appropriée un personnage ! Voix, gestuelle, démarche, attitude : l’actrice incarne littéralement Judy Garland ! Mentionnons d’ailleurs le sublime travail de  maquillage qu’assure Jeremy Woodhead, célèbre pour son travail sur Le Seigneur des anneaux (P. Jackson, 2002). Bref  la performance de Zellweger, sublime, laisse sans voix ! (À savoir : elle interprète elle-même toutes les chansons du film).  Pour couronner le tout et redonner vie à Judy Garland, Rupert Goold s’est également entouré d’une pléiade d’artistes « de l’ombre » aussi talentueux les uns que les autres Au casting, on trouve ainsi la monteuse attitrée de Tom Hooper, Mélanie Oliver (Les Misérables, 2012 – The Danish Girl, 2015), le chef opérateur de The Crown, Ole Bratt Birkeland,ou encore Gabriel Yared, compositeur oscarisé pour Le Patient Anglais (A. Minghella, 1996), qui offre ici une partition délicate, tout bonnement merveilleuse. Merveilleuse, car le temps vient où l’on oublie de raisonner, où la spontanéité prend le dessus. Et des frissons irrépressibles de nous envahir à l’écoute de cette partition… Car oui, la bande originale de Judy nous a tout bonnement conquis, à la fois d’une élégance et d’une simplicité émotionnelle que n’égale que sa beauté ensorcelante, à l’image de la fragile Judy Garland. Portrait d’un génie du musical plein de failles et de paradoxes, alcoolique à ses heures, torturée, dépressive mais toujours bouleversante, Judy Garland, qui avait subi les affres de la célébrité, vécut, doit-on le rappeler, quelques instants de grâce ! On peut le dire, Judy est un biopic émouvant à l’image léchée, transcendée par l’interprétation de Renée Zellweger, et ce malgré quelques failles.

A la production : David Livingstone, Jim Spencer, Laurence Myers, Cameron McCracken, Andrea Scarso, Lee Dean, Rose Garnett, Aaron Levene, Hilary Williams, Charles Diamond & Elisa Goodman pour Twisted Pictures et Serendipity Productions.

Derrière la caméra : Rupert Goold (réalisation). Tom Edge (scénario). Ole Bratt Birkeland (chef opérateur). Gabriel Yared (musique).

A l’écran : Renée Zellweger, Jessie Buckley, Finn Wittrock, Rufus Sewell, Michael Gambon, Richard Cordery, Bella Ramsey et Royce Pierreson.

Disponible sur : Ciné +.

Copyright photos : Pierre Mornet.