Vous avez lu l’histoire de Jesse James, comment il vécut, comment il est mort ? Ça vous a plus, vous en voulez encore ? Alors voici l’histoire de Bonnie et Clyde, version Netflix. Cette nouvelle déclinaison signée John Lee Hancock (Le Fondateur, Dans l’ombre de Mary) réunit un casting impeccable dans une chasse à l’homme à travers le sud des Etats-Unis, un schéma élimé mais dont le réalisateur use habilement pour mieux dénoncer la postérité d’une légende écrire en lettres de sang.
On peut parfois louer Netflix pour son audace. Bête noire des grandes maisons de production dont elle aime se présenter comme l’électron libre, le fou du roi, la plateforme a plus d’une fois surpris par ses choix de thématiques (Okja), de castings ou de formes radicales (Roma, son rythme, son usage des langues indigènes). Aussi peut-on s’étonner de cette nouvelle création qui, sur le papier, dégage une forte odeur de déjà-vu. De fait, The Highwaymen ne brille pas par son originalité formelle, c’est là un euphémisme. Le terrain est connu, balisé, foulé par le pas des centaines de réalisateurs avant aujourd’hui, et a surtout de quoi ravir les amoureux de la série True Detectives. Jugez plutôt : deux Texas Rangers vieillissants reprennent du service pour retrouver les criminels les plus féroces du moment, en même temps que le frisson du terrain et leur dignité de flics, le temps d’une virée dans les états du sud. Comme dans une vieille bâtisse qui prend l’humidité, les poncifs du genre suintent de tous les
plans et l’on rencontre sans surprise des autorités corrompues, une population arriérée et menaçante, des conflits ridicules entre les polices locales et fédérales, des routes déroulées comme des rubans au milieu de paysages immenses et des scènes de nostalgie solitaire, bercées par le va-et-vient du rockingchair sur un porche faiblement éclairé. Et bien entendu, comme il s’agit d’une histoire vraie, vous pourrez à l’envie juger de la ressemblance du casting avec leur modèle au cours d’un générique riche en images d’archives. N’y allant pas par quatre chemins sur l’autoroute de l’attendu, le réalisateur fait même appel à deux habitués du genre : Kevin Costner (difficile de ne pas penser aux Incorruptibles de De Palma dès qu’il enfile son chapeau) et Woody Harrelson, toujours efficace dans le rôle du matou porté sur les femmes et la boisson. En somme, ça ronronne agréablement, à l’instar de la Ford dans laquelle embarque les deux protagonistes.

Toujours sur le papier, il n’est guère surprenant de la part de Netflix -qui a fait du père du narcoterrorisme Pablo Escobar un avatar de la pop culture actuelle- de se pencher sur le cas de Bonnie and Clyde. Plus encore que n’importe quel criminel passé dans le folklore populaire, le duo représente la quintessence des bandits légendaires, adulés de leur vivant et confortablement installés dans la postérité par des références à foison, musicales (Gainsbourg, Eminem, et même Beyoncé-Jay Z) aussi bien que cinématographiques. De John Dillinger à Al Capone, Hollywood aime à recouvrir le crime d’un vernis glamour, quitte à mettre mal à l’aise, comme ce fut le cas dernièrement avec le Ted Bundy de Zac Efron. Bonnie et Clyde ne font pas exception, eux qui furent incarnés par Faye Dunaway et Warren Betty dans le film de 1967. Glamour à mort.
Pourtant, c’est précisément sur ce terrain que le film fait preuve de caractère. Comme un clin d’œil à cette industrie cinématographique qui la rejette, la plateforme choisit le contrepied, soit le refus total d’épouser la cause des amants criminels. Aucune rétrospective de leur parcours n’est offerte au spectateur, ni même des pistes d’explication d’une popularité toujours présentée sous l’angle du fanatisme. La « hype Bonnie et Clyde » est moquée dans ses aspects vestimentaires et littéraires (« Avant, il fallait du talent [pour être célèbre] », déclare ainsi Maney Gault, joué par Harrelson, à propos de l’espace médiatique offert aux écrits de Bonnie Parker). Parker et Barrow se résument d’ailleurs à des ouï-dire, des racontars et des silhouettes fugaces tant est stricte le refus du réalisateur de dévier du point de vue des hommes de loi. Ceux-ci traversent les villes avec un mantra, qu’ils distillent tout au long du film : « n’oubliez pas que ces idoles ont tué ». Pas de seconde chance, pas d’explication familiale ou psychologique ; le pourquoi de leur conduite importe moins que la nécessité de les condamner.

On n’éponge pas les flaques de sang versé avec des traumatismes de l’enfance. Adieu donc le scintillement hollywoodien, l’objectif est celui de la banalisation. Voilà qui est intéressant : peut-on penser affront plus grand pour les plus légendaires des criminels ? De là la mise en scène austère et terne, ainsi qu’une fin de cavale volontairement grotesque, visuelle et violente jusqu’au ridicule. Les amants s’y déclinent sous deux plans : celui de deux gamins effrayés, puis de deux poupées de chiffons éclatées par les impacts de balles. Ainsi finirent les beaux et fiers Bonnie et Clyde. Malgré tout, le film s’achève sur un constat contrasté. Oui, les amants ne tueront plus (la fin était connue, le suspens n’était là) ; oui, Frank Hamer et Maney Gault ont prouvé leur valeur et laissé leur empreinte dans l’histoire des Texas Rangers. Mais que vaut leur prestige de l’ombre face à la postérité qui, déjà, entoure Bonnie et Clyde sous la forme d’une foule immense venue se recueillir sur leur dépouille ?
La scène finale est à ce titre éloquente : aux criminels, la gloire, aux victimes et aux policiers, l’oubli. Ce constat ne manque pas de résonner chez le spectateur, aujourd’hui baigné dans un contexte de surmédiatisation favorable à l’émergence de stars de crime. On pense notamment aux mots de Jacinda Ardern, première ministre de Nouvelle-Zélande, lors des attentats de Christchurch :
Le film ne dit pas autre chose et une recherche rapide sur Wikipédia étaye cette démonstration : tandis que la fiche de Bonnie et Clyde multiplie les anecdotes et photos sur des paragraphes entiers, l’oeuvre de Frank Hamer s’y résume en quatre lignes. De quels héros voulons-nous ?
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