Men : l’enfer, c’est les hommes

par

Men

De retour sur grand écran, le réalisateur de Ex machina (2014) et Annihilation (2017), Alex Garland, propose avec Men un récit sanglant de la masculinité contemporaine, où l’horreur côtoie le mystique avec force et esthétisme.

Alors qu’il chute au ralenti depuis l’étage d’un immeuble londonien, un homme fixe sa femme, assise dans leur salon baigné de la lumière rouge d’un coucher de soleil. Leurs regards se croisent, une dernière fois, avant qu’il ne soit retrouvé, le corps mutilé, sur le bitume, quelque mètres plus bas. Harper, campée par Jessie Buckley, jeune veuve hantée par ces images traumatiques et incessantes, cherche alors le répit dans un village bucolique de la campagne anglaise, où elle espère trouver le calme nécessaire à sa guérison. Pourtant, dès son arrivée, le cauchemar la rattrape, se révélant avec terreur dans l’impossibilité pour une femme de s’apaiser par l’isolement.

Avec ingéniosité, Alex Garland emprunte au fantastique pour démontrer cette réalité pourtant palpable : la vigilance constante qui exige de se protéger de sa propre condition n’est pas une paranoïa féministe, mais la conséquence de l’addition des comportements intrusifs, menaçants et culpabilisants dont jouissent les hommes. Ici, nul besoin de caricature, le portrait de la masculinité n’est pas celui du dominant dominateur, mais de l’insidieuse inégalité qui prévaut dans les rapports hommes/femmes et s’exprime dans l’anodin. Le diable est dans les détails, qu’il s’agisse d’un mari incapable d’introspection, ou d’un gamin grossier, la faute incombe inévitablement à celle qui aura croqué le fruit défendu. Le mal et les mâles semblent tous concorder, et partagent ainsi le même visage, celui de Rory Kinnear qui développe une versatilité virtuose, incarnant tour à tour un landlord rougeot et insistant, un voyeur étrange, ou encore un prêtre inquisiteur. A l’heure de la virilité en crise, le réalisateur propose une néo-mythologie de la toxicité masculine nourrie par le pouvoir. Les interlocuteurs d’Harper reflètent chacun l’ordre moral, la sécurité, la propriété, cadenassant le monde en un enclos dont il sera impossible de s’échapper.

De l’accumulation naît la tension, sinueuse et rampante, jusqu’à l’insoutenable. La lumière blanche et crue des premières séquences s’assombrit progressivement, les plans larges s’amincissent alors que la symétrie des compositions laisse place à un récit visuel bien plus trouble, saccadé, allégorique, permettant au registre de l’horreur de s’immiscer sans prévenir. Alors que l’intrigue s’intensifie, toute sa charge symbolique se déploie en une alternance d’images mystiques : une charogne suante rongée d’insectes, une figure monstrueuse en bas-relief la bouche ouverte ou encore une fente suggestive sculptée dans la pierre. Jouant de l’instabilité narrative, Alex Garland adopte simultanément un point de vue interne et omniscient, proposant une synthèse entre le récit individuel et l’histoire ancestrale de la domination incessamment répétée dans le temps. La force de l’action sera alors de continuellement déjouer la fatalité qui sacrifie sa protagoniste sur l’autel des martyres, au profit d’une héroïne tenace et résolue, déterminée à survivre. Dans Men, la femme est le véritable – l’unique – sexe fort.

A la production : Andrew MacDonald & Allon Reich pour A24 & DNA Films.

Derrière la caméra : Alex Garland (réalisation & scénario). Rob Hardy (chef opérateur). Benjamin Salisbury & Geoff Barrow (musique).

A l’écran : Jessie Buckley, Rory Kinnear, Papa Essiedu, Gayle Rankin, Sonoya Mizuno, Sarah Twomey, Zak Rothera-Oxley.

En salle le : 8 juin 2022.

Copyright photo : Getty Images / The Ringer.