Underwater : joue-la comme Ripley !

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Underwater

« Dans les profondeurs de l’océan, quelque chose s’est réveillé » : la tagline d’Underwater annonce la couleur. Son réalisateur entend payer son hommage à la saga Alien, et plus particulièrement à l’opus réalisé par James Cameron dont il parvient finalement à condenser plus ou moins la filmographie en moins de deux heures – une durée dont les derniers blockbusters du genre nous avaient fait perdre l’habitude. Si le scénario réserve un traitement de faveur à la tendance hollywoodienne féministe néo-chic, le film ne parvient pas à éviter de trop nombreux écueils, parmi lesquels ceux des clichés de genre et raciaux. Mais au fond peu importe, Underwater remplit sa promesse en prodiguant une heure d’adrénaline, de claustrophobie et d’immersion abyssale aux bouffeurs de pop-corn invétérés que nous sommes. Dans l’eau, personne ne vous entend barboter…

LA CLICK

Il y a fort à parier que William Eubank restera dans les annales hollywoodiennes comme l’un de ces cinéastes freaks & geeks biberonnés au cinéma de genre des années 70, bien qu’incapables d’en réactualiser les formes. C’est du moins ce qu’il n’a cessé de nous prouver depuis ses premières réalisations qui reproduisaient davantage qu’elles ne puisaient allègrement dans le répertoire de la « cliCK » (comprenez ici Stanley Kubrick et Terrence Malick). Le jeune homme passera d’abord par les bancs de la prestigieuse UCLA pour étudier la cosmologie avant d’intégrer la société Panavision qui va finir par le convaincre de ses talents pour maîtriser caméras, lumières et optiques plutôt que d’essayer de percer à jour les mystères insondables de la mécanique quantique.

Devenu un bricoleur hors-pair, Billy s’entoure de la fine fleur des techniciens hollywoodiens pour s’essayer à la SF d’obédience kubrickienne avec The Signal (2014), sorti directement en DVD sur le territoire français. Le cinéaste pastichait alors joyeusement les élucubrations mystico-philosophiques de son aîné pour n’en délivrer qu’un pastiche évidé de toute sa substantifique moelle. Un peu de modestie aurait ici été de mise pour nous présenter ce qui n’aurait gagné à être qu’une honnête série B artisanale. Peu importe : Eubank poursuivra son chemin coûte que coûte sur les sentiers tortueux de la gloire. C’est d’ailleurs sur cette longue route qu’il croise en 2016 le script d’Underwater, une variation subaquatique d’Alien. Quelle aubaine ! Avant de se faire phagocyter par Disney un an plus tard, la Fox entend bien capitaliser sur son catalogue, et particulièrement sur une saga à bout de souffle. Billy se chargera donc de faire « à la manière de », et plus particulièrement de James Cameron qui a lui-même orchestré le second retour des Aliens (1986) avant de réaliser un huis-clos en eaux profondes (Abyss, 1989).

Poussons un peu plus loin ce drôle de jeu de miroirs en rappelant que le réalisateur canadien a d’abord étudié la physique avant de faire son trou à Hollywood sur des séries B de l’école Corman, dont Piranha 2 (à la réalisation en 1981) et La Galaxie de la terreur (cette fois-ci à la technique pour B.D. Clark, la même année). Bref, avec ses faux airs d’Iron Jim, William Eubank apparaissait comme le candidat idéal pour réaliser une énième variation horrifique de l’histoire imaginée quarante ans plus tôt par le regretté Dan O’Bannon. 

Tournage d'Aliens, 1986 © 20th Century Fox
Tournage d'Underwater, 2017 © 20th Century Fox

Le scénario d’Underwater immerge ses protagonistes à 11km de profondeur dans une station de forage sous-marine dont la carcasse rétro-futuriste poisseuse n’est pas sans rappeler le design du Nostromo conçu par Don Cobb. Ses auteurs, Brian Duffield et Adam Cozald, un habile scribouillard plutôt à l’aise avec les reboots de franchises (on lui doit notamment ceux de Tarzan et de Jack Ryan), ne s’embarrassent pas de psychologie, préférant nous projeter in media res au cœur de l’océan où les rares survivants d’un tremblement de terre tentent par tous les moyens de regagner la surface pour ne pas finir pulvérisés par l’implosion d’une gigantesque plateforme pétrolière sous-marine. La suite, sans surprise aucune, déroule son lot habituel d’ambiances claustrophobiques et de dialogues éculés que le cinéaste parvient à condenser en une petite heure et demi, grâce lui soit rendue.

On s’amusera donc pendant ce temps à dénombrer les 1001 mimétismes à l’œuvre dans cette drôle de production hybride, façon Aliens meet Abyss. Aussi Underwater n’essaie-t-il même pas grossièrement de camoufler les grosses ficelles que Life : Origine inconnue (D. Espinosa, 2017), son proche parent, avait eu la décence d’escamoter. Et c’est peut-être bien le véritable tort de William Eubank, désormais accusé par monts et par vaux de plagiat éhonté : ne pas savoir nous faire prendre des vessies pour des lanternes. L’équipage, réduit à son strict effectif, devient la proie de créatures des abysses dont la parenté avec l’extra-terrestre visqueux de The Creeping Terror (V. Savage, 1964) nous interroge encore pour l’heure. On vous en laisser juger par vous-même ici

Sigourney Weaver dans Alien de Ridley Scott, en 1979 © 20th Century Fox

Kristen Stewart dans Underwarter de William Eubank, en 2020 © 20th Century Fox

DES TÊTES À CLAQUES

William Eubank place ses pions dans l’urgence pour organiser un jeu de massacre horrifique que ponctuent inlassablement des effets de shaky cam et de jump scare sous la direction de Bojan Bazelli, le chef opérateur du Roi de New York (A. Ferrara, 1990) dont le talent se délite irrésistiblement depuis vingt ans dans les productions aseptisées de Gore Verbinski.

Kristen Stewart, cheveux tondus peroxydés, ne nous convainc que mollement dans son rôle de « sylphide plate comme une limande » qui porte la petite culotte à la mode (Ellen) Ripley, un personnage dont l’héritage repose sur ses trop fêles épaules. De l’héroïque badass woman du cinéma SF musclé tendance Cameron, ce personnage d’ingénieur en mécanique ne retient qu’une vague caution « féministe » pour un réalisateur qui croit assez naïvement pouvoir tirer son épingle du jeu (du marketing) en misant sur l’empowerment au féminin. L’authenticité du message se trouve mise à mal dès lors que Norah accepte d’endosser l’éternel rôle de victime sacrificielle pour assurer le spectacle du grand final. On est bien loin du saut de l’ange mi-suicidaire mi-nihiliste de Sigourney Weaver devant la caméra d’un Fincher plus punk que jamais dans Alien (1992).

Eubank lui affuble une galerie de têtes à claques toutes aussi caricaturales les unes que les autres, parmi lesquelles le scientifique abonné au name-dropping à tout-va (T.J. Miller plus cabotin que jamais), l’ingénieur geek inséparable de sa chemise hawaïenne (John Gallagher Jr décomplexé, au choix, façon Chris Pratt ou Jeff Goldblum) et la scientifique d’origine asiatique en charge du discours écolo (Jessica Henwick, partagée entre le cartésianisme américain et le mysticisme de ses lointains ancêtres, forcément). On passera également sur d’autres stéréotypes raciaux, le scénario d’Underwater n’oubliant pas de faire du seul personnage noir à l’écran (Mamoudou Athie) la première victime… Seul Vincent Cassel parvient plutôt bien à s’en sortir dans son rôle du vaillant capitaine Lucien – car oui, les français vus depuis Hollywood portent forcément le bon vieux prénom de leur pépé. La souplesse et l’efficacité de son jeu finissent même pas nous convaincre de sermonner Fincher (encore lui !) de l’embaucher pour le rôle de Nemo et ainsi remettre à flot son projet abandonné d’adaptation de 20 000 Lieues sous les mers.

En attendant, laissons encore une (dernière ?) chance à William Eubank de nous surprendre, soit avec TauTona et sa mystérieuse cité d’or en Afrique du Sud, soit avec la version de Monte-Cristo qu’il nous prépare en compagnie du scénariste et producteur de la série Heroes (2006-2010).

A la production : Peter Chernin, Jenno Topping, Tonia Davis et Kevin Holloran pour 20th Century Fox.

Derrière la caméra : William Eubank (réalisation). Adam Cozad et Brian Duffield (scénario). Bojan Bazelli (chef opérateur). Marco Beltrami et Brandon Roberts (musique).

A l’écran :Kristen Stewart, T.J. Miller, Jessica Henwick, Vincent Cassel, John Gallagher Jr., Mamoudou Athie, Gunner Wright.

Disponible sur : Ciné +

Copyright illustration : The Ringer.