Le biopic de J.R.R Tolkien réalisé par Dome Karukoski pour la Fox promettait sur le papier une immersion fascinante dans la psyché de l’auteur du Hobbit et du Seigneur des anneaux. A l’arrivée, le spectateur décontenancé se retrouve face à une bluette mâtinée de bon sentiments sur fond de guerre et de camaraderie fraternelle. Mais où est donc passé l’écrivain, le poète, le philologue qui donna ses lettres de noblesse à la fantasy moderne dans une idéolangue, véhicule d’une mythologie devenue culte ?
En 2001, Le Seigneur des anneaux : la Communauté de l’anneau sort dans les salles de cinéma. Peter Jackson réussit l’impossible. Le Livre de J.R.R. Tolkien considéré comme inadaptable à financer et à réaliser, pulvérise tous les records au box-office, cumulant plus de 800 millions de dollars. Les suites se révèlent également de grands succès commerciaux, rapportant au total presque trois milliards de dollars lors de leur sortie en salle. Ils sont acclamés par la critique, reçoivent une flopée de récompenses à travers le monde, remportant notamment dix-sept Oscar sur une trentaine de nominations. Le dernier film de la trilogie, Le Retour du roi, rafla ainsi pas moins de onze statuettes, rejoignant le club très fermé des productions monumentales parmi lesquelles figurent Titanic et Ben-Hur. En 2012, New Line s’associe ensuite avec la MGM pour mettre en chantier Le Hobbit. Un temps développé par Guillermo Del Toro, c’est au final Peter Jackson qui prend le soin d’adapter la prequel de l’œuvre de J.R.R. Tolkien, réitérant à nouveau l’exploit de développer un roman de moins de 300 pages en une seule et même trilogie. Était-ce pour autant une bonne idée ? Le succès est au rendez-vous mais une baisse de qualité se fait sentir, une avalanche de fan s’attaque aux films de Peter Jackson. Trop de « trop » dira-t-on.

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L’appât du gain
C’est le 21 novembre 2013 que les productions Fox Searchlight Pictures et Chernin Entertainment annoncent le développement d’un film biographique sur l’écrivain britannique J. R. R. Tolkien. L’usine à rêves hollywoodienne ne dément pas ici son appât du gain en y voyant une occasion en or pour faire une fois de plus profit sur le dos d’une saga à succès. La machine lancée, le scénario est supervisé par David Gleeson, lui-même épaulé par Stephen Beresford, scénariste de l’excellent Pride de Matthew Warchus. Il faudra attendre 2017 pour que le film fasse à nouveau parler de lui, en officialisant la participation du réalisateur finlandais Dome Karukoski, célèbre pour le film Tom of Finland, un biopic sur le dessinateur et peintre Touko Valio Laaksonen qui a durablement influencé la culture gay par ses représentations fantasmatiques et fétichistes d’hommes.
L’acteur Nicholas Hoult, remarquable dans About a Boy de Chris Weitz, également devenu populaire grâce à la franchise X-Men en y interprétant le personnage du Fauve, se retrouve engagé pour interpréter le rôle-titre. Lilly Collins, fille du célèbre chanteur Phil Collins, récompensée aux Golden Globes pour sa prestation dans L’Exception à la règle de Warren Beatty, prend quant à elle les traits de sa femme, qui selon les écrits inspira l’auteur pour ses personnages de princesses dans ses romans. Le tournage se déroule entre octobre et décembre 2017. Tolkien sort en avant-première mondiale en mai 2019 au Royaume-Uni et aux États-Unis. Arrivé au terme d’une franchise aussi prolifique, artistique et financière, que peut-on attendre de l’arrivée d’un biopic sur J.R.R. Tolkien ?

© Fox Searchlight
Un biopic maladroit
Le film se concentre sur la jeunesse, les années universitaires et la relation amoureuse de J. R. R. Tolkien avec Edith Bratt. Orphelin, ce-dernier trouve l’amitié, l’amour et l’inspiration au sein d’un groupe de camarades de son école. Mais la Première Guerre Mondiale éclate et menace de détruire cette belle communauté fraternelle. Ce sont toutes ces expériences (quelle originalité décidément !) qui vont inspirer Tolkien dans l’écriture de ses romans. Sur ce simple résumé, on pourrait imaginer un biopic, certes « classique », mais pas pour autant ennuyeux. Manque de chance, le film se révèle terriblement décevant. En effet, le réalisateur, Dome Karukoski, pourtant habitué au biopic, ne parvient jamais à dépasser l’imagerie traditionnelle inhérente au genre, ni à transcender un scénario désespérément plat, dénué de la moindre bonne idée. Le film reste conventionnel, sans aucun point de vue réellement développé, souffrant dès lors d’une narration extrêmement maladroite. Les producteurs auraient-ils donc sérieusement espéré que le seul nom du créateur de l’une des sagas littéraires les plus mythiques allait attirer les spectateurs par milliers ? La question taraude encore méchamment l’auteur de ces lignes aujourd’hui…

© Fox Searchlight
Un scénario démonstratif
Tolkien s’ouvre sur une séquence dans les tranchées pendant la Première Guerre Mondiale. Ces bien trop longues minutes ont probablement dû servir au monteur pour rythmer un film principalement consacré à une histoire d’amour dans la droite lignée artistique du Sissi réalisé par Ernst Marischka (dont nous ne remettrons pas ici en cause les qualités artistiques). Ces séquences de guerre sur fond de love story bêtifiante et d’amitiés croisées ont certes alimenté l’inspiration de l’auteur. Elles desservent cependant ici un scénario malheureusement pauvre et trop démonstratif. Ces raccords maladroits entre vie et œuvre finissent même par faire sourire à leur insu face à une telle lourdeur dans la mise en scène. On en vient même à se demander si les images de tranchées n’ont pour seul but que d’enrichir les bandes-annonces d’images fortes avec des effets spéciaux boursouflés. De plus, Dome Karukoski ne parvient jamais à exploiter son joli casting, réduit à incarner des marionnettes plus que des personnages. Il faut admettre que Nicholas Hoult, devenu un grand garçon, se montre aussi raide qu’un passe-lacet. Quant à son interprétation, elle souffre de la comparaison avec celle de Derek Jacobi, qui bafouille avec talent quelques mots qu’on lui a accordé de jouer. Enfin, le seul petit plaisir consiste à voir gesticuler le corps de la ravissante Lily Collins qui ne sert que de décoration, heureusement mise en valeur par l’excellent directeur photo Lasse Frank Johannessen qui travailla sur les clips de Björk. Bref, il ne reste vraiment pas grand chose à sauver dans ce très mauvais film qui ne parvient jamais à créer la moindre admiration du personnage Tolkien, ni même à insuffler un quelconque intérêt à un scénario bien fade.
Que dire de la partition originale composée par le grand Thomas Newman ? Quelle tristesse de l’entendre essayer d’imiter les accords de son comparse Howard Shore sans grande motivation, accablé par un projet malheureux. Les chœurs utilisés timidement viennent ainsi contraster avec le manque d’implication de sa musique. Un peu terne, la mixture ne parvient pas à faire l’effet d’une poudre magique et l’on ne ressent finalement pas grand-chose à son écoute.
C’est une histoire de voyages, des voyages qu’on fait pour se prouver des choses.
Dome Karukoski verra, lui, son séjour aux États-Unis écourté, au vu de l’échec artistique et financier de son premier film hollywoodien. Tolkien, sorti au mois de mai outre-atlantique, n’a récolté que 8 millions de dollars au box-office mondial avec un budget de production estimé à… 20 millions de dollars !
De grandes espérances
Arrivé au terme du périple, les regards se détournent à regret des écrans. On se met alors à penser avec envie au projet mis en chantier par Amazon Prime autour du Seigneur des anneaux. La plateforme ne laisse filtrer à cette heure que peu d’informations sur la série inspirée de l’univers de Tolkien. Cependant, on soupçonne déjà un budget colossal au vu des ambitions artistiques inhérentes au projet. Côté réalisation, aucun nom prestigieux n’est est encore associé à la série. Mais alors quid de Peter Jackson ? Le principal intéressé ne devrait pas figurer au casting. Cette inquiétude passagère se retrouve balayée avec l’arrivée de Bryan Corman, scénariste et co-producteur délégué de Game Of Thrones, en tant que consultant. L’histoire devrait quant à elle s’étendre sur au moins cinq saisons pour se concentrer sur une époque antérieure à celle de La Communauté de l’anneau, sans toutefois explorer The Silmarillon publié à titre posthume par le fils de l’auteur. Il faut donc s’attendre à plonger au coeur du Deuxième Âge, époque qui vit l’émergence de Sauron alors même que les anneaux étaient forgés. C’est d’ailleurs une carte interactive mise en ligne par Amazon qui révèle un territoire inédit, l’île de Númenor, berceau d’une civilisation techniquement très développée. Il faut donc désormais s’armer de patience pour découvrir la première saison prévue pour 2021, à des années-lumières d’un biopic par trop dispensable.
