Radioactive

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Après quelques films réussis, dont les magnifiques long-métrages d’animation Persepolis en 2007 puis Poulet aux prunes en 2011, Marjane Satrapi s’essaie au biopic féministe avec Radioactive, ou comment Marie Curie fit progresser de manière conséquente la recherche sur la radioactivité en compagnie de son mari. Malheureusement, le résultat est loin d’être enthousiasmant tant la réalisatrice se perd dans un scénario lisse et sans grand intérêt, dont elle peine à exposer clairement les enjeux. Trop d’ellipses et peu d’explications portent atteinte à la compréhension des enjeux à l’écran, sans jamais deviner où Satrapi désire réellement nous amener. Un échec d’autant plus regrettable que sa mise en scène reste élégante…

LA TENTATION ESTHÉTISANTE

A la fin du XIXe siècle, Marie Skłodowska, une jeune scientifique polonaise contrainte à l’exil, peine à défendre ses théories sur les rayons X dans un monde scientifique et nationaliste alors majoritairement dominé par les hommes. Sa rencontre avec Pierre Curie, un physicien de renommée internationale tout aussi passionné qu’elle, lui permettra cependant de venir à bout de la théorie de la radioactivité, en mettant à jour dans leur « misérable hangar » l’existence du polonium et du radium. Cette découverte majeure va surtout servir de prétexte à la naissance d’une relation amoureuse entre les deux « électrons libres », qu’interrompra le décès de ce dernier à peine dix ans plus tard dans un accident de voiture. Première femme à recevoir un prix Nobel, Marie Curie continuera ses recherches seule, avec une détermination sans faille, alors que le monde s’apprête à plonger dans une dangereuse ère atomique… On ne va pas tourner autour du pot : le nouveau film de la dessinatrice franco-iranienne Marjane Satrapi passe à côté de son réel sujet. Si la réalisatrice ambitionne d’utiliser toutes les ressources du cinéma pour mettre en image les dérives oniriques et parfois fantasmagoriques de cette chère Marie Curie, le résultat à l’écran ne saute pas toujours aux yeux. La mise en scène apprêtée de Radioactive tient en effet le spectateur à trop grande distance pour lui permettre de s’y impliquer. L’esthétisme de l’ensemble et la composition des cadres empruntent davantage aux codes de la bande dessinée qu’à ceux du cinéma, comme si Marjane Satrapi, en abandonnant l’animation, éprouvait des craintes et des difficultés à faire un « vrai » film, une épreuve pourtant déjà passée haut la main avec The Voices en 2014. Gageons que « le cinéma a encore beaucoup à [lui] apprendre », comme elle l’affirme elle-même en interview. La forme classique du biopic ne semble cependant pas convenir à une oeuvre qui se voudrait un hommage à Marie Curie, femme forte et indépendante, mais surtout profondément amoureuse de la science comme de son mari. Satrapi fait plutôt le choix de raconter la radioactivité d’un point de vue ludique. A force de jouer sur plusieurs tableaux, son film se transforme en une succession de saynètes souvent laborieuses et peu inspirées, que le jeu de Rosamund Pike, exhibant le même regard exorbité et ahuri tout au long de l’histoire, achève de plomber. Radioactive, s’il n’est pas indigeste, n’en demeure pas moins inconsistant.

© Laurie Sparham/StudioCanal

© Laurie Sparham/StudioCanal

LES RETOMBÉES RADIOACTIVES

Le véritable problème de Radioactive se niche au cœur du scénario concocté par Jack Thorne, d’après le roman graphique Radioactive : Marie & Pierre Curie : A Tale of Love and Fallout de Lauren Redniss, désormais prétexte à un produit terriblement creux, impersonnel et sans ambition. Débarrassé de toute profondeur psychologique, proposant des séquences au choix vues et revues, ou d’un ridicule atterrant, qu’interprètent en tout cas mollement des acteurs pas franchement motivés, Radioactive ne témoigne en aucun cas de la fougue électrisante d’une grande dame desservie donc par un biopic maladroit et daté – en cause, son manque d’originalité – qui peine à injecter une once de respect, voire d’hommage décent, envers Marie Curie. Ainsi, même la présence à l’écran de Rosamund Pike ne sauve pas le film ! L’interprétation qu’elle donne de son personnage féminin mi-romantique, mi-passionné, mi-paranoïaque lorgne plus vers la parodie que vers le drame historique. A ses côtés, son mari, incarné par Sam Rilley, l’inoubliable Ian Curtis dans Control (A. Corbijn, 2007),  et sa fille, la jeune Anya Taylor Joy découverte dans Split (M. N. Shyamalan, 2017), suscitent tout aussi laborieusement notre intérêt, sans doute eux aussi déconcertés par tant d’exagérations gratuites. Les relations que tissent Marie Curie avec son assistant prêtent quant à elles carrément à sourire, une énième touche de légèreté bien sûr involontaire. Satrapi s’avère enfin maladroite dans la gestion des flashbacks et autres ellipses, notamment lors du montage final qui évoque les catastrophes nucléaires majeures au XXe siècle, dont Hiroshima et Tchernobyl. Bien malheureusement, ce sont les seuls enjeux autour de la radioactivité qui parviennent à retenir notre attention, au beau milieu de maladresses d’écriture exaspérantes. Au beau milieu de ce nuage radioactif, Marjane Satrapi peut toujours compter sur son sens de l’esthétisme avec une mise en scène élégante, sobre et parfois efficace, à l’image des productions historiques bien ficelées par les vieux studios hollywoodiens [la MGM se « paya » également Marie Curie dans un biopic réalisé par Mervyn Le Roy en 1943, N.D.L.R.] La direction artistique s’avère également convaincante, à l’image de l’ambiance quelque peu anxiogène rendue possible par le travail sur la lumière de l’excellent chef opérateur Anthony Dod Mantle, passé auparavant chez Danny Boyle, Lars Von Trier et Thomas Vinterberg. Marjane Satrapi dessine ainsi une nouvelle histoire, à savoir celle de Marie Curie, non plus avec un crayon mais avec une caméra qu’elle maîtrise aujourd’hui parfaitement grâce à un sens aigu de la mise en scène et un esthétisme incontestable. Radioactive n’en souffre pas moins d’un scénario décousu, essayant vainement d’illustrer « la radioactivité pour les nuls » tout en cousant de fil blanc une histoire d’amour des plus classiques. Un film certes « beau » par bien des aspects, mais grandement maladroit.

Radioactive (2020 – Royaume-Uni et Hongrie) ; Réalisation : Marjane Satrapi. Scénario : Jack Thorne, d’après l’oeuvre de Lauren Redniss. Avec : Rosamund Pike, Sam Riley, Aneurin Barnard, Anya Taylor-Joy, Simon Russell Beale, Katherine Parkinson, Sian Brooke et Jonathan Iris. Musique : Evgueni et Sacha Galperine. Chef opérateur : Anthony Dod Mantle. Production : Tim Bevan, Eric Fellner, Paul Webster, Joe Wright, Amelia Granger, Ron Halpern et Didier Lupfer – StudioCanal, Shoebox et Working Title Films.  Format : 2,35:1. Durée : 109 minutes.

En salle le 11 mars 2020.   

Copyright photo de couverture : Laurie Sparham/StudioCanal/Gone Hollywood.