Miss

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« Miss Opportunisme 2020 est… Miss France ! » Prends ça, Miss Hollywood. Tes super-héroïnes, ton Scandale et ta petite sirène « black » n’auront pas suffi. Une fois n’est pas coutume, le Gaulois a battu l’Oncle Sam sur le terrain pourtant très américain du politiquement correct. Son atout charme pour décrocher la couronne : Miss, justement, un film signé Ruben Alves qui fleure bon le feel good movie pataud, tout en stéréotypes et placements produits. Preuve qu’au cinéma comme ailleurs, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Cette Miss-là s’y est définitivement coincé le talon ; attention à la chute !

FEMME JUSQU’AU BOUT DES SEINS

« Mon rêve, c’est d’être Miss France. » A l’âge où les petits garçons rêvent de devenir pompiers, astronautes ou chevaliers jedi, Alexandre rêve de couronne strassée et de robe fourreau. Un objectif qui lui vaut bien entendu les rires de ses petits camarades et qu’il garde au fond de lui comme une bougie qui chauffe son cœur d’orphelin les soirs d’hiver. Ce sera son rêve autant que sa fragilité, sa « fissure d’où jaillit la lumière ». Les années passent. Alexandre reste loin de ses fantasmes féminins puisqu’il travaille dans un gymnase qui sent moins le fard à joue que le talc des gants des boxeurs. Notre pauvre Miss en devenir y promène sa solitude en plein antre des dieux du stade, dans des vestiaires où les dos sont musclés et brillent de sueur. Subtilité, j’écris ton nom. Le soir, il rentre chez lui, une cour des miracles dirigée par une hippie tyrannique et où chaque chambre est prétexte à un stéréotype gênant : l’atelier de confection indien (dont une ouvrière est appelée Panini parce que les noms indiens sont rigolos, comme il se doit), le boudoir du travesti prostitué au Bois de Boulogne (maniéré mais plein de sagesse, comme il se doit) ou encore la serre enfumée où pousse de l’herbe (cultivée avec soin par un black et un arabe au look urbain, comme il se doit). Là, les résident ne sont pas riches mais ont un cœur gros comme ça, et c’est donc tout naturellement qu’ils répondent présents lorsqu’Alexandre décide sur un coup de tête que cette fois-ci, c’est décidé, c’est la bonne, il va s’inscrire au concours Miss France. Après tout, pourquoi pas ? Elle sert à ça, la comédie populaire, à user de clichés énormes pour nous faire rire, pleurer et surtout réfléchir sur nos travers en tant que corps social, pour pointer du doigt nos inconsistances. De là son amour de longue date pour la figure du travesti, dont l’ambiguïté place ses interlocuteurs dans un déséquilibre à même de provoquer quiproquos et retournements de situations salutaires. Qu’on ne s’y trompe pas : avec ses seins en plastique et ses cils collés, le travesti ne moque pas la femme, mais le macho qui gravite autour d’elle. Ou, pour reprendre les mots d’Alexandra dans le film, « celui qui pense être un prince alors qu’il n’est qu’un porc ». En somme, on n’a pas encore trouvé mieux que le travesti pour rire de l’homme. On pense bien entendu au Frank du Rocky Horror Picture Show (J. Sharman, 1975) qui joue sur les mots en chantant « I can make you a man », au tandem Josephine et Daphne de Certains l’aiment chaud (B. Wilder, 1959) qui illustrent deux manières d’assumer (ou non) sa part de féminité, ou plus récemment à Rayon, véritable béquille émotionnelle d’un Matthew McConaughey cowboy et cuir dans Dallas Buyers Club (J-M. Vallée, 2013). Miss s’inscrit donc dans une longue tradition cinématographique, à laquelle il ajoute pourtant une originalité bien de son époque, puisqu’il n’est plus tant question de moquer la virilité que de montrer en quoi elle asservit les femmes. C’est so 2020, et plutôt malin. Tout aussi astucieux le choix de placer son intrigue au cœur du temple auto-proclamé de la féminité, le concours Miss France, poussé à se transformer par des mœurs qui évoluent et des détracteurs de plus en plus nombreux. Sur le papier, donc, le nouveau film de Ruben Alvès avait de quoi constituer un divertissement honnête et bien de son époque. C’est sur écran que les choses se corsent.

© Julien Panié/Zazi Films/Chapka Films

© Julien Panié/Zazi Films/Chapka Films

LE COMITÉ SE REFAIT UNE BEAUTÉ

« Pourquoi veux-tu devenir Miss France ? » Face à ses amis, face aux caméras, Alexandra est souvent invitée à se justifier. Voilà qui est bienvenu, puisque le scénario n’a pas jugé nécessaire de doter son protagoniste d’un passé et d’une personnalité assez forts pour nous expliquer ses motivations. « Pour devenir quelqu’un », répond-t-elle une fois. « Pour laisser exprimer ma féminité. » Si la candidate n’est pas dénuée de qualités humaines et physiques, elle manque indubitablement d’imagination : pour elle, en 2020, l’affirmation d’une femme et d’une féminité passe nécessairement par la participation à un concours de beauté. Il aurait sans doute été plus original de laisser Alexandra exprimer sa féminité sur son ring de boxe, mais ç’eût été passer à côté d’une des caractéristiques les plus inattendues et pourtant indéniables du film : sa forte misogynie. Dans Miss, les candidates sont d’une stupidité humiliante, d’une méchanceté redoutable, une galerie de pestes et d’idiotes se nourrissant exclusivement de bâtonnets de carottes rationnés. Comme dans la Rome antique, elles n’ont pas de nom mais sont uniquement désignées par un numéro (8) puis – promotion admirable – par leur région d’origine (Ile-de-France). On vous met par exemple au défi de nous remonter le nom de Stéfi Celma, dont le personnage apparaît sous le nom de PACA jusque dans le répertoire téléphonique de sa prétendue copine de chambre. Nous ne reviendrons cependant pas sur le sort fait au prénom des femmes indiennes, de peur de provoquer une suite avec Christian Clavier au casting. De là certaines scènes hallucinantes, parmi lesquelles la couronne de la honte revient à notre brave Miss PACA, lionne collabo face à une camarade qu’elle imagine droguée (et donc en détresse) redevenue agneau lorsqu’elle apprend avoir affaire à un homme. Dans cette armée de femmes superficielles dont le spectateur ne fait que rire, la plus douce, la plus gentille, la plus profonde, la bonne camarade, c’est Miss Ile-de-France. La meilleure femme de France, en résumé, celle qui mérite la couronne, c’est l’homme. Il peut paraître curieux de voir un film soi-disant féministe se montrer plus violent envers les candidates aux concours de beauté qu’envers les concours eux-mêmes. La raison est simple : à l’instar de ses personnages, Miss joue les instagrameuses et chouchoutent ses sponsors. De là une scène tout à fait promotionnelle en faveur de Biostoom que le réalisateur enrobe maladroitement sous une couche d’écologie. De là aussi et surtout l’image très favorable donnée du comité Miss France, qui a prêté son logo, sa musique, sa directrice et même Vaimalama Chaves (Miss France 2019) pour la grande scène finale. Quand Alexandra dévoile le pot aux roses (sans rose) lors de la dernière épreuve, c’est le comité et la Miss en exercice qui l’applaudissent alors même que le public se déverse en injures et cris outragés. Miss France en avance sur l’opinion, il fallait oser.

Dans l’épilogue du film, le concours se félicite d’avoir récompensé le « courage ». On n’est jamais mieux servi que par soi-même… « Chiche ! », a-t-on envie de crier lorsqu’apparaît le générique de fin. Pour que le comité Miss Frances soit à la hauteur de ce qu’il prétend être ici, il lui faut faire primer le fond sur la forme. Nos voisins allemands ont déjà sauté le pas et couronné, fin février, une mère de famille de 35 ans. Chez nous, à en croire le message porté par le film et les formulaires d’inscription en vigueur, un homme androgyne est encore une meilleure ambassadrice de la féminité qu’une véritable femme trop petite (moins d’1m70), trop grosse, trop vieille (plus de 24 ans), amoureuse ou fumeuse. L’ouverture du concept de féminité, voilà une bien belle cause à défendre pour les prochaines candidates d’un concours qui, avant d’accueillir les travestis, pourrait commencer par accepter toutes les femmes. 

© Julien Panié/Zazi Films/Chapka Films

Miss (2020 – France) ; Réalisation : Ruben Alves. Scénario : Elodie Namer et Ruben Alves. Avec : Alexandre Wetter, Pascale Arbillot, Isabelle Nanty, Thibault de Montalembert, Stéfi Cela, Baya Rehaz, Moussa Mansaly, Alexiane Torres, Mériem Sarolie, Noémie Zeitoun et Amanda Lear. Musique : Lambert. Chef opérateur : Renaud Chassaing. Production : Hugo Gélin et Laetitia Galitzine – Chapka et Zazi Films. Durée : 107 minutes.

En salle le 21 octobre 2020.  

Copyright photo de couverture : Jessie Noble/Julien Panié/Zazi Films/Chapka Films.