Les Crimes du Futur : Cronenberg, pâle copie

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Crimes of the Future

Reparti les mains vides du Festival de Cannes, David Cronenberg avait prédit le choc, l’effroi, l’horreur que pouvait susciter Les Crimes du Futur. De son visionnage, on retient surtout le malaise.

La filmographie de David Cronenberg est traversée par la question de la rencontre entre la chaire et la machine, de l’humain brûlant confronté à la froide mécanique. Investiguant la naissance synthétique du monstre contemporain, prométhée hybride, ruiné et magnifié, tantôt surhomme-insecte dans La Mouche (1986) ou fétichiste automobile dans Crash (1996), le réalisateur s’empare de la question de la technologie comme point charnière de la mutation humaine. Reprenant ses obsessions familières pour Crimes of the Future, le réalisateur propose un drame d’anticipation, situant l’humanité au point de bascule entre son achèvement et sa renaissance. Ici, le corps humain produit ex nihilo de nouveaux organes tumoraux dont la dissection peut faire spectacle. Binôme d’artistes performeurs, Saul Tenser (Viggo Mortensen) et  Caprice (Léa Seydoux) offrent ainsi à voir le prélèvement de ces mystérieuses excroissances, revendiquant l’acte chirurgical comme exploration artistique et nouvelle sexualité. La métamorphose de l’espèce, loin du mouvement naturel de l’évolution, correspondrait à une assimilation progressive de l’environnement synthétique auquel l’homme est désormais exposé. Ces nouvelles entrailles en sont la preuve, le corps doit adapter son fonctionnement interne et former dorénavant un ensemble organique avec son monde plastifié. Le dilemme se pose ainsi : la survie de l’homme réside-t-elle dans la conservation de l’ordre biologique ou bien dépend-elle d’une adaptation au règne de la machine ?

Certains pourront savourer l’exercice de style dans les multiples références de Cronenberg à lui-même, renvoyant l’intrigue sans s’en cacher à son propre statut d’auteur, à la possible vanité de son art dont il défend le sous-texte intellectualisant, tout en se complaisant dans le body horror qui fait le sel d’un cinéma aussi pop qu’intello. Mais comment distinguer le testament introspectif proclamé, d’une parodie de sa propre œuvre ? Les dialogues sur-explicatifs se succèdent, seuls moteurs d’une action qui peine terriblement à faire émerger tout enjeux ou tension. Les organes grisâtres et lubrifiés suscitent moins le choc que le rire. De même les outils technologiques évoquent une imagerie éculée du futur – tel que perçu il y a déjà plusieurs décennies. Les intentions seraient-elles volontairement kitsch, en proposant une vision passéiste de l’anticipation – ultime hommage à la science-fiction du siècle dernier ? Peut-être bien. Il convient de s’interroger néanmoins : si les qualités du film résident dans ses défauts flagrants, est-il bien raisonnable de le considérer réussi ? Cronenberg se joue de nous, et il demeure difficile de se réjouir d’un film discursif bien plus que démonstratif, complaisant dans son auto-critique, et résolument convenu dans son exécution malgré ce qu’il tente de faire croire.

En effet, Cronenberg conserve une maîtrise formelle quasi irréprochable, dont témoignent, entre autres, sa capacité de synthèse dans la composition des plans et ses choix de lumières, une pénombre changeante et expressive des hésitations qui planent sur les personnages. Pour autant, la caméra peine à surprendre, les séquences s’enchaînent sans jamais offrir de moments d’audace, ni retenir l’œil. L’exploration des limites de l’art reste péniblement contrainte à ce récit inutilement confus sans parvenir à s’incarner dans des intentions de mise en scène au mieux insatisfaisantes, au pire, superficielles. La rencontre du brûlant et du froid crée donc du tiède, nul besoin d’un plaidoyer artistico-politico-sexuel pour le comprendre. Cronenberg, dans ce jeu de miroirs et de citations, finit alors par se confondre dans une mauvaise imitation de lui-même, au regret des spectateurs qui préfèreraient l’original.

A la production : Robert Lantos, Steve Solomos & Panos Papahadzis pour Serendipity Point Films & Argonauts Productions.

Derrière la caméra : David Cronenberg (réalisation & scénario). Douglas Koch (chef opérateur). Howard Shore (musique).

A l’écran : Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart, Scott Speedman, Welket Bunge, Don McKellar, Tanaya Beatty, Nadia Litz.

En salle le : 25 mai 2022.

Copyright photo : Metropolitan FilmExport.