Her Smell d’Alex Ross Perry n’est pas un film, sinon un riff de guitare que l’on se prend en pleine figure et qui vibre, qui envoie, qui crie, au risque de laisser quelques acouphènes. Maladroit mais audacieux, à la fois étouffant et revigorant, jusqu’au-boutisme, profondément rock’n roll.
Un huis-clos rock
Voici un film (encore un) sur une star du rock ployant sous le poids des disques d’or et des addictions. Un film qui met en vedette (c’est le cas de le dire) des femmes, fortes de caractère, puissantes, libres. En somme, un film bien de son époque et qui, s’il s’en était tenu à cela, aurait eu bien du mal à se trouver une place à lui dans le répertoire déjà bien garni des films du genre. Pourtant, dès les premières secondes, Her Smell happe. Pas d’introduction, pas de manières : nous voici plongés dans les loges d’une salle de concert, entre les effluves de laque et de cigarette. Le show est fini : la caméra filme au plus près les visages qui suent, les cheveux qui collent aux tempes, les maquillages qui dégoulinent comme des torrents de boue. Entre les gros plans et les couloirs étroits, les répliques qui s’enchaînent comme si le silence était toxique, le sentiment de claustrophobie est total. C’est là la principale surprise et la principale beauté du film : Her Smell est un huis clos. En 2h15, celui-ci ne nous offre que quatre scènes, quatre lieux, que le réalisateur Alex Ross Perry prend le risque d’étirer longuement. Il en tire tout le jus, la moindre goutte, offrant à son long-métrage un rythme étrange, lent et pourtant percutant.
Becky Something

© Donald Stahl
Sa force de frappe, Her Smell la tire surtout de sa protagoniste, Becky Something. Platine et punk, féministe et fâchée. Elle en veut à son ex, à ses amies, ses rivales (réelles ou supposées), est en colère contre la vie et noie son chagrin dans ce qui lui tombe sous la main. L’inspiration Courtney Love est assumée. Elisabeth Moss (également productrice du film) embrasse tout entier son personnage et lui offre une énergie formidable. Elle est de tous les plans, parle plus fort et plus que tout le monde, remplit le moindre flottement, le moindre vide dans le champ. On admire son refus d’être belle ou sympathique pour mieux être vrai. Car de même que Becky est l’âme du groupe, qui ne saurait exister sans elle, elle est le sujet central du film. En effet, Her Smell n’est pas un film rock, dans le sens où il ne suit pas les déboires d’un groupe, de la cave du guitariste aux sommets des charts – de la carrière de Something She, nous ne saurons rien de plus que le culte que leur voue la profession et les fans. Non, le film est le portrait d’une femme qui se débat dans ses addictions et ses obligations, et qui s’aime trop peu pour chercher à l’être en retour. Alors elle hurle, s’agite, engueule. Elle est le bruit et la fureur. « Tu ne peux dire que tu connais Becky Something qu’une fois que tu as eu envie de l’envoyer se faire foutre », déclare la guitariste (Agyness Deyn, gracieuse). Une parfaite description du personnage. Touchante ou exaspérante, elle ne laisse pas le spectateur indifférent.
Knock-out
Lorsqu’un film se prend comme un café serré, sa force réside dans la subtilité du dosage. C’est là, malheureusement, que Her Smell se rate. Trop long, il l’est indéniablement, d’autant plus que sa volonté de faire durer chaque scène tourne finalement au gimmick artificiel et lourdingue. Immanquablement, un film coup-de-poing, s’il dure trop longtemps, assomme. On finit donc par regarder les personnages gesticuler et hurler à l’écran sans vraiment les écouter, en se demandant si telle idée méritait vraiment un développement aussi conséquent, si elle fait vraiment avancer l’histoire, si l’on ne regarde pas la roue du moulin à paroles tourner à vide, si la forme n’est pas en train de prendre l’ascendant sur le fond. On sort du film éreinté, mais tel est peut-être l’objectif cherché. Becky Something, après tout, a cet effet sur les gens. Rock’n’roll, hystérique, audacieux, inégal… Her Smell a ses défauts et ses qualités.

© Donald Stahl
