Dark Waters

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L’histoire vraie de Robert Bilott (Mark Ruffalo), un avocat prêt à tout pour mettre à l’amende un puissant groupe industriel soupçonné d’empoisonner les habitants et animaux d’une Amérique asphyxiée. Un véritable combat à la David contre Goliath d’utilité publique. 

UN CINÉMA MILITANT, UN THRILLER ÉCOLO

Tirée de faits réels, l’histoire de Dark Waters avait déjà fait l’objet d’une riche enquête publiée dans les colonnes du légendaire New York Times Magazine. Cette dernière contait le combat de l’avocat Robert Bilott contre un géant de la chimie, DuPont, accusé à l’époque d’avoir contaminé des populations au PFOA, une molécule entrant dans la composition du téflon. Peu coutumier de ce genre cinématographique, Todd Haynes signe ici pourtant une oeuvre que l’on classe volontiers dans le cinéma militant. À la manière d’Erin Brockovich (S. Soderbergh, 2000), des Hommes du président (A. J. Pakula, 1976) ou encore de Spotlight (T. McCarthy, 2015), le réalisateur délivre un récit qui s’oppose au pouvoir des industries polluantes, façon lanceur d’alerte du 7e art. L’affaire y est lente. L’enquête minutieuse et bien documentée. Les faits sont exposés simplement, rigoureusement, sans artifice. Les minutes sont limpides malgré la complexité juridique d’une telle affaire. Les années s’écoulent et les dossiers s’empilent. Le montage, lui, accélère l’action, parfois de manière brutale, preuve que l’affaire sera longue. Très longue. Malgré une réalisation plutôt classique et d’une grande sobriété, Dark Waters nous donne souvent l’impression d’être face à un thriller qui nous ferait presque devenir parano. On se surprend à être angoissé, terrifié. À avoir le ventre noué et à se sentir étouffé par ce géant industriel. Dans Dark Waters, le spectateur devient témoin. Celui d’un scandale écologique de grande ampleur. Porté à l’écran par une photographie aussi sombre que l’histoire, Dark Waters dévoile des paysages pluvieux et cafardeux. Une véritable froideur se dégage des images sublimées par les compositions du chef opérateur Ed Lachman. Ce directeur de la photographie n’en est pas à sa première collaboration avec Todd Haynes, puisqu’il a notamment travaillé sur Far from Heaven (2002), pour lequel il remporte un oscar, Carol (2015) et Wonderstruck (2017). On lui doit aussi le sublime Virgin Suicides (S. Coppola, 1999), et Erin Brockovich, ce qui est plutôt amusant. Avec lui, ne vous attendez pas à distinguer une once de soleil. Il fait gris. Que ce soit sur les routes de Virginie ou dans les bureaux de cet avocat de Cincinnati. Le quotidien est poisseux, surtout dans cette bourgade polluée où tout se meurt : bovins et humains. Tous deux traités d’égal à égal par DuPont. Comme du bétail. 

© Mary Cybulski

© Mary Cybulski

MARK RUFFALO, UN ACTEUR ENCORE PLUS INVESTI QU’UN AVENGER

Mark Ruffalo fait partie de ses acteurs pour qui l’engagement égale le talent. C’est d’ailleurs l’acteur lui-même qui a demandé à Todd Haynes de porter à l’écran le combat de Rob Bilott. Il est également l’un des producteurs du film. L’homme confiait au Figaro : « Il m’est arrivé d’être producteur pour d’autres films sans être crédité. Sur Dark Waters, je suis producteur de manière officielle pour la première fois. Je cherchais un sujet qui rejoigne mon activisme et ma défense de l’environnement. En lisant l’article de Nathaniel Rich dans le New York Times Magazine, l’histoire de Robert Bilott m’a semblé parfaite. J’y voyais un film d’horreur mais fondé sur des faits réels. » Aussi engagé que son personnage, il incarne un avocat qui a défendu toute sa carrière les grands groupes de l’industrie chimique. Mangeant dans leurs mains, buvant à leurs réceptions…

L’avocat change de vision le jour où un fermier vient le chercher pour lui présenter les preuves que la campagne où il a grandi se meurt. Sur fond de retour aux sources (ses racines provinciales), l’avocat se lance alors dans un combat presque perdu d’avance. On y découvre un Mark Ruffalo plus obstiné que jamais. Pugnace. Prêt à se donner corps et âme. Toujours à deux doigts de vriller mais qui ne s’arrêtera pas tant que le combat ne sera pas terminé. Quitte à mettre sa vie en danger, sa femme et ses enfants avec. Mais s’il ne fait rien, pourra-t-il vraiment se regarder dans une glace ? On ne sort pas tout à fait indemne d’un Dark Waters. Le générique, sur fond de “I won’t back down” de Johnny Cash, clôt avec une émotion juste et cinglante cette petite pépite cinématographique : “Well I won’t back down, no I won’t back down You can stand me up at the gates of hell But I won’t back down.” Les géants ne perdent jamais vraiment mais les héros, eux, restent debout.

© Le Pacte

Dark Waters (2020 – États-Unis) ; Réalisation : Todd Haynes. Scénario : Matthew Carnahan et Mario Correa d’après l’oeuvre de Nathaniel Rich. Avec : Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Tim Robbins, Bill Camp, Victor Garber, Mare Winningham, William Jackson Harper, Bill Pullman, Louisa Krause, Kevin Crowley, Denise Dal Vera, Scarlett Hicks, Brian Gallagher, John Newberg, Jeffrey Grover, Mike Seely, Marcia Dangerfield, Chaney Morrow, Amy Warner et Kelly Mengelkoch. Chef opérateur : Edward Lachman. Musique : Marcelo Zarvos. Production : Christine Vachon, Pamela Koffler, Jeff Skoll, Mark Ruffalo, Michael Sledd, Jonathan King et Robert Kessel – Participant Media et Killer Films. Format : 2.39:1. Durée : 126 minutes.

En salle le 26 février 2020 / Disponible en DVD et Blu-ray chez Le Pacte à partir du 19 août 2020.

Copyright photo de couverture : Muhammad Reza Fadillah/Gone Hollywood.